Littérature

Interview confinée – Alexis Potschke, « Rappeler les enfants ». Ep.1

26 mai 2020

Nous étions le 6 mai. Dans quelques jours, nous serions déconfinés. Voilà plusieurs mois que j’avais envie de lui parler, alors je l’ai relancé…et ça s’est fait ! Entretien avec Alexis Potschke, auteur du roman « Rappeler les enfants ». On va parler doute de l’écrivain, bonheur d’enseigner, prof et élèves confinés etc.

Comme cet entretien était fort passionnant, je vous propose de le découvrir en plusieurs épisodes (4). Dans ce premier épisode, Alexis nous parle de son arrivée dans l’enseignement, du bonheur d’enseigner, et de ses débuts dans l’écriture.

Bonjour Alexis, qui êtes-vous ? 

Bonjour, Alexis, 31 ans (depuis hier), je suis prof de lettres dans un collège de grande banlieue nord parisienne. J’ai des élèves de la 6ème à la 3ème…et je suis écrivain.

L’enseignement, une vocation ?

Pas du tout ! (Rires) Je ne me destinais pas du tout à l’enseignement. En fait, j’ai voulu devenir prof un an après l’être devenu. J’ai toujours voulu écrire en fait, lire, je voulais être dans la recherche. C’est un pur concours de circonstance qui m’a amené à devenir prof. En fait, un ami passait le concours, je me suis inscrit par hasard et j’ai eu le concours.

Comment décririez-vous vos débuts en tant que prof ?

Un jour, je me suis présentée face à une salle de classe. Avec toute mon impréparation et ma naïveté, eh bien au début, sans surprise, ça ne s’est pas bien passé du tout ! (Rires). Pendant près d’un an, j’ai cumulé les maladresses : mal préparé, beaucoup trop frontal, dirigiste, souvent en colère (pourtant je ne suis pas d’un tempérament colérique ! Je suis plutôt patient) . Disons que j’ai trouvé mes limites, ! Et sincèrement j’ai frôlé l’insupportable. Donc j’ai chamboulé toute ma manière de faire. Et, ô miracle, la remise en question a marché. (Rires) J’ai soudainement fait cours en étant beaucoup plus raccord avec qui je suis en dehors de la salle de classe. Les élèves ont vu que je ne mentais pas, que je ne mentais plus. On a tous une image de l’enseignant charismatique, d’autorité et finalement, une fois que j’ai fait le deuil de tout ça et que j’ai recommencé à faire cours en étant moi-même, avec mes marottes, les choses qui m’intéressent ou celles qui ne m’intéressent pas, à partir du moment où j’ai été plus clair, je l’ai été avec les élèves et  j’ai construit une relation de confiance. J’avais 24 ans quand j’ai commencé et mes plus jeunes élèves en avaient 10…

Le bandeau de votre roman stipule « Le bonheur d’enseigner » ? Vous confirmez ?

Ah oui.  Absolument. J’éprouve beaucoup de plaisir à enseigner. Je prends beaucoup de plaisir à transmettre. J’adore voir que j’ai été utile, et j’adore retrouver mes élèves, tout simplement. Dans cette période de confinement, la salle de classe et les élèves me manquent terriblement. Ce qui est compliqué avec l’enseignement c’est qu’on ne sait jamais vraiment ce qui va se passer. On a beau avoir très bien préparé un cours, il peut très mal se passer et inversement. Parfois, le ressenti des élèves est à l’opposé du nôtre. On ne peut jamais deviner. On navigue entre des heures super et des heures où on sort fâchés, en colère. Et le problème, c’est que ces heures là prennent le pas sur les autres. On a beau avoir passé une super journée, c’est celles-là qui restent. On a tendance à se concentrer sur ce qui ne veut pas. C’est important d’avoir du recul. Et malgré tout, malgré ces moments doutes, de colère passagère, dans l’ensemble, c’est un boulot merveilleux. D’ailleurs, à bien y réfléchir, c’est le seul boulot que je connaisse dans lequel on puisse se mettre en colère vraiment comme ça. Avant d’être enseignant, j’ai eu des boulots beaucoup plus difficiles, J’ai cueilli des fruits, j’ai bossé à l’usine, j’ai été vigile. Des boulots physiquement éreintants, on a mal partout en rentrant le soir quoi ! Mais c’est rare qu’on se mette en colère tout rouge. Bon alors, je vous rassure, ça m’arrive moins souvent maintenant. (Rires)

Comment vous expliquez ça ?

Ces colères là… ? Quand on est face à vingt élèves qui, soit parce qu’on a dit quelque chose qui ne leur a pas plu, soit parce qu’ils sortent d’une heure de cours ou de récréation où il y a eu une embrouille… si ils ont envie de ne pas suivre et de vous faire tourner en bourrique, ils gagnent. Toujours. On peut vraiment se mettre en colère au point non pas de perdre ses moyens mais en tout cas ne plus se reconnaître. Si on va au conflit avec eux, on perd toujours parce que EUX n’ont rien à perdre. Mais je pense que si ça nous met dans de tels états, c’est parce qu’on reste tous profs pour une seule raison : on a à coeur de faire progresser les élèves, on a  envie de tout un tas de belles choses pour eux, on s’investit, on se donne, on fait tout pour eux, mais quand eux décident de n’en avoir rien à faire, on se met beaucoup plus en colère que si c’était contre un quidam dans la rue. Si c’est n’importe qui on s’en fiche !  Mais des élèves qui n’en ont rien à faire, ça nous rend fou. C’est à la hauteur de l’investissement, du bonheur qu’on veut leur donner. En fait, on a la même jauge de déception…

Le goût de l’écriture date de quand pour vous Alexis ?

C’est mon premier roman mais j’écris depuis plus de 15 ans. J’ai commencé en écrivant mon journal de lycéen, sur internet, pour le faire lire aux amis, ensuite à l’université, puis un premier roman d’amour, quelques nouvelles. Quand j’ai eu 20/21 ans, trois de mes nouvelles sont parues dans la Nouvelle Revue Française. Ensuite, j’ai écrit pas mal de textes qui n’ont pas abouti, un récit de voyage, un roman de science-fiction, quelques nouvelles de science-fiction publiées dans petites revues. Clairement mes premières amours ce genre. D’ailleurs, j’étais en train d’’écrire un roman de science-fiction (qui n’a jamais vu le jour) quand je suis devenu enseignant.

L’écriture, un art solitaire ?

Ah oui ! Je le dis souvent, mais je pense que la littérature ou en tout cas l’écriture est l’art le plus solitaire qui soit. Quand on dessine, on est seul, certes, mais ensuite on montre à des amis, ça prend quelques minutes pour avoir un retour ! Idem pour la musique, ça prend 3 mn de faire écouter un morceau ! Alors que quand on est auteurs, quand on essaye de naître, quand on passe deux ans sur un bouquin de 400 pages, c’est difficile de trouver un ami qui va bien vouloir  passer du temps à vous lire. Les gens préfèrent, et c’est bien compréhensible, lire des romans d’auteurs qu’ils connaissent ! Et franchement, c’est compliqué d’écrire sans être lu. C’est même une vraie souffrance…

Crédit photo : ©hello-i-m-nik

 

Crédit photo d’illustration principale : © Astrid di Crollalanza

 

 

Il était une fois… 2019