Féminin

Les Lionnes : rugir et agir…

23 juillet 2019

Il est temps.

Il est temps de sortir les crocs.

Il est temps d’affûter nos griffes.

Il est temps de rugir et d’agir !

Christelle Delarue a créé, il y a quelques mois, le club « Les Lionnes », la première association française qui lutte contre le sexisme dans la publicité et la communication.

Je suis tombée sur cette campagne d’affichage sur Instagram qui m’avait mis la puce à l’oreille. J’ai voulu la rencontrer. Voilà ce que la chef de meutes des Lionnes a à nous raconter…

1 – Qui êtes-vous bande de lionnes ?

Nous sommes 300 femmes (déjà en 4 mois), d’âges, d’origines sociales, de couleurs de peaux, de corps et d’expériences différentes. Nous sommes déterminées à mettre fin au sexisme dans la pub, à ériger le principe de sororité en action pour que les femmes arrêtent d’être en compétition les unes contre les autres, pour qu’elle soient plus fortes ensemble. Nous souhaitons parvenir à l’égalité réelle (notre devise républicaine pour rappel) (rires). Sans liberté, pas d’égalité. La libération de la parole des femmes a fait comprendre au monde qu’il est temps qu’elles prennent leur pouvoir pleinement à côté d’hommes qui les soutiennent.

2 – Et vous, Christelle, vous êtes la chef de meute ? Quel est votre parcours en quelques mots ?

(rires) Je n’ai pas choisi. Mais peut-être parce que je suis une de celles qui avait déjà déconditionné mon genre, mon sexe, j’ai, de fait, été visible grâce à mes engagements passés dans le milieu de la pub. Je suis militante, féministe déclarée, entrepreneuse ET visible. Donc j’imagine que c’est pour ça que beaucoup de femmes se sont tournées vers moi pour être défendues.

Christelle Delarue, 37 ans, lionne en chef, en sa jungle. Elle a déjà rallié, depuis la création de l’association le 13 mars 2019, plus de 300 lionnes. ©Sonia IMBERT

J’ai commencé la pub très jeune. Je suis une passionnée. J’ai la conviction qu’elle peut être un vecteur de valeur lorsqu’elle est bien faite. Elle peut construire, éveiller, acculturer, faire bouger les curseurs sociaux. J’ai grandi dans de grandes agences internationales, j’ai subi des violences sexuelles et sexistes ordinaires comme toutes les femmes dans cette industrie. Partout. J’ai lutté, ça a été épuisant et lorsque je me suis sentie la plus faible, j’ai, avec un peu de courage et de folie (les deux), tenté de créer une alternative sans quitter mon milieu. Donc j’ai crée Mad and women, la première agence de pub féministe. Je n’avais pas vocation à déclarer que l’agence était féministe. C’était naturel pour moi de travailler sur un projet social, égalitaire et respectueux des femmes. Mais c’était si compliqué pour « eux » de le comprendre naturellement que j’ai accentué la démarche. J’ai alors engagé des preuves transformatives au sein de l’agence, à l’extérieur, avec les partenaires et même avec les financements, pour véritablement ancrer des mesures, des actions et des preuves concrètes pour tenter d’y parvenir. Parce qu’il faut bien se rendre compte que dés lors qu’on demande la permission, on ne nous la donne pas, (rires) donc j’ai entrepris une posture plus militante avec des annonceurs qui le sont pas nécessairement, mais qui cherchent à comprendre, à mieux faire, à s’engager et à responsabiliser d’avantage leur démarche.

Ça fait déjà  7 ans.

3 – Qu’est ce qui fait rugir les Lionnes ?

Toute diminution, discrimination, injonction qui vise à réduire le potentiel féminin.

Les lionnes sortent leurs griffes ©Sonia IMBERT

4 – Pouvez-vous me dresser le portrait robot d’une lionne type ?

La lionne est une femme de tout âge, qui a entendu une blague sexiste, qui n’a pas su quoi faire, qui a senti que ce n’était pas normal, qui a vu que d’autres femmes rigolaient et qu’il se jouait dans ce moment-là, une discrimination.

Elle a tenté de dire qu’elle n’était pas d’accord, elle a été jugée pour cela, elle a été mise de côté, et pour certaines, elles en ont perdu leur job.

Au démarrage, c’est une blague, après c’est une insulte, après, une discrimination, après, un stéréotype dans les campagnes et ensuite, c’est potentiellement une phrase qu’elle entend « si tu me suces, j’te mets sur ce brief ». Donc un lien de cause à effet direct entre sa marchandisation et son potentiel de réussite.

Alors, soit elle démissionne, soit elle se tait. Si elle se tait, elle participe, donc elle est dégoûtée d’elle-même, du système, elle doit se battre. Elle rit mais en même temps elle est en colère. Elle suit des paradoxes, elle n’est jamais complètement elle-même, elle doit composer avec un rôle qui n’est pas forcément le sien. Et à chaque fois, dans chaque situation, dans chaque taxi, dans chaque négociation, dans chaque production, à chaque réunion, elle se demande si elle est à sa place. Et ça, ce n’est plus possible. Là où les hommes sont les plus puissants ou les plus protégés, on peut imaginer que celles qui résistent ou qui ne sont pas suffisamment sûres d’elles puisqu’elles ont (malheureusement) ingéré toutes ces déviances, puissent se voir mettre une main sur la cuisse, sur les fesses… Et là, elles ne savent plus comment réagir. C’est alors qu’on arrive à des situations de tentative de viol potentiel en France, en 2019, dans des agences de publicité, dans un milieu plutôt éduqué, en majorité blanc, par ces mêmes hommes, qui, au niveau mondial, ont toutes les richesses.

5 – Pourquoi avez-vous décidé de libérer les lionnes en vous ?

Je pense que nous sommes toutes des lionnes potentielles. Il y a des études incroyables assez récentes qui montrent que notre corps, notre biologie, a intégré les vestiges du passé.

Si nous sommes la 4ème génération de féministes ou de femmes qui avons dû nous battre, on porte en nous les stigmates de femmes guerrières. Donc je pense qu’il y a une lionne en chaque femme. Elle est toujours un peu en éveil et quand elle subit trop, il est important qu’elle puisse rugir avec d’autres. Ça c’est le premier constat.

Le second c’est qu’on ne peut plus seulement être considérées uniquement comme des victimes. Ce que je vois très fort chez les lionnes (au delà d’un principe de sororité en action très puissant), c’est que des femmes qui pensaient être des victimes et ne pas avoir la légitimité pour parler de leur situation, deviennent des survivantes et pas  uniquement des guerrières en colère. Des survivantes qui expriment leur plein potentiel dés lors qu’elles sont en capacité de dire ce qu’il leur est arrivé sans jugement.

On n’est pas toutes des femmes qui avons subi le même niveau de violence, donc on n’est pas toutes victimes PUIS survivantes. Parfois on est victimes et on du mal à dépasser ce statut là psychologiquement. Donc je dirais qu’on est toutes des guerrières mais que parfois c’est épuisant d’être dans cette révolte, donc il appartient à chacune de voir qu’on peut survivre aux situations désastreuses ou même à des stigmates du passé. De voir que dans dans la survivante, il y a de la force, une nouvelle vitalité qui est là, qui fait qu’elle irradie et qu’elle touche d’autres femmes.

Quand les femmes accepteront de parler de leur faiblesse entre elles sans qu’elles puissent être jugées, le monde gagnera en bienveillance.

6 – Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel est votre territoire de chasse ?

On est toutes reliées parce que c’est pandémique, historique, systémique ce qu’il se passe ! Ça a été très puissant au moment de #MeToo. Ça vient des Etats-Unis, ils ont Trump …mais nous, on avait les soubresauts avec DSK. La chance qu’on a aujourd’hui avec les réseaux sociaux et le digital, c’est que ça va très vite d’être alliéesDonc si les lionnes dans la pub sont organisées, elles peuvent se rattacher à d’autres collectifs pour faire qu’il n’y ait plus UNE industrie qui laisse les prédateurs en place. Ensuite, il faut être reliées aussi à des systèmes plus organisés ou s’organiser vraiment entre nous, se structurer, chercher des partenariats, des financements…Parce que ça peut tout simplement devenir une nouvelle société civile.

Jungle de lionnes…©Sonia IMBERT

7 – Les lionnes en 3 rugissements

Protéger celles qui en ont le plus besoin. Défendre celles qui veulent bouger les lignes. Promouvoir la créativité de toutes.

8 – Vous étiez du 17 au 24 juin dernier avec vos lionnes au CANNES LIONNES  dans le cadre du Cannes Lions – International Festival of Creativity.  Pouvez-vous nous faire un retour sur ces quelques jours ? Quel rôle aviez-vous ? Quelles actions ? Quel palmarès ?

Ce festival, ce sont 89 pays représentés qui envoient des campagnes de pub du monde entier. C’est LE plus grand festival international de publicité. Il y a un palmarès des publicités les plus créatives qui gagnent des lions d’or, des lions d’argent, des lions de bronze.

L’agence a 4 mois. Nous sommes à l’année zéro. On s’appelle les Lionnes, on est donc descendues faire un diagnostic de l’équité, de la parité, de l’égalité, du « gender equality » dont tout le monde parle, pour voir vraiment quels étaient les chiffres. Et c’est là que nous arrivons à notre 3ème levier : la promotion. On ne peut pas parler d’égalité dans notre monde si on ne s’attache pas à faire un diagnostic sur les chiffres. Quand bien même nous ne serions pas encore à 50% , qu’en est il du meilleur de la publicité mondiale ?

Le résultat est sans appel : sur 89 pays représentés et plus de 30 000 campagnes inscrites, sur le palmarès total des gains des lions, nous n’avons pu remettre que 9,09% de prix Lionnes sur environ 1000 statuettes. En gros, quand on donne 10 lions, on remet 1 lionne.

Verdict qui fait rugiiiiir !! ©Les lionnes

Plusieurs critères ont été pris en compte :

1 / Une campagne qui ne peut pas être soupçonnée de sexisme.

2 / Une fiche technique totalement paritaire dans toute la production.

3/ Une femme directrice de la création. (Uniquement 11% au niveau mondial or si les femmes ne sont pas à la tête des idées…)

4 / Un comex (ndlr : Comité exécutif)  d’agences de publicité paritaire. (c’est là qu’on pêche le plus…)

9 – Quelle ambition pour les Lionnes de demain ?

Atteindre l’égalité. Avoir plus de femmes dans les directions d’agence, plus de femmes chez les annonceurs. Qu’elles travaillent ensemble. Qu’on reçoive des campagnes où on célèbre LES féminités, où les photographes, les femmes réalisatrices puissent exprimer le fait qu’une idée est sexiste sans qu’elles soient vues comme des féministes notoires. Qu’on arrête Photoshop, qu’on montre des corps de toutes les couleurs. Que ce soit une E-VI-DENCE, qu’on n’ait pas à se battre pour ça ! 

Quant à savoir à quel horizon…? L’égalité entre les hommes et les femmes a été érigée grande cause nationale par Emmanuel Macron , donc pour résumer… on est dans un pays où l’égalité est la grande cause nationale, dans un monde où la parole des femmes se libère, dans une année où le G7 du 24 au 26 août à Biarritz, va réunir toutes les grandes présidences des plus grands pays du monde qui vont statuer sur les droits des femmes, la paix, l’environnement. En un mot, la situation est URGENTE donc si on a n’a pas avancé au mois d’août avec le G7, c’est déjà un premier échec.

Ensuite, il y a l’échéance de l’égalité salariale : encore 25% d’écart de salaires en France. Des études montrent que si on ne fait rien, la parité ne sera atteinte que dans 217 ans !!

Donc, non. Nous ne pouvons pas attendre. Nous devons agir et vite ! On ne verra peut-être pas le résultat de notre lutte mais chaque lionne que nous sommes, nous luttons pour nos filles, nos sœurs, et puis pour nous ! On souhaite avoir la sensation de faire partie d’un tout, on a une place ! Si on ne nous la donne pas, on va s’organiser pour la prendre, nous. (rires)

10- Pour finir, y a t-il un dernier rugissement que vous aimeriez partager avec nous ?

Je suis extrêmement fière, extrêmement touchée, je mesure ce qu’on a réussi à faire ! Fière de voir les lionnes partir à l’international, ouvrir des bureaux partout dans le monde. Fière d’être connectée à des femmes puissantes. Extrêmement touchée de voir ces femmes qui s’autorisent à être sœurs, ces femmes qui ne se connaissent pas et qui se prennent dans les bras, qui partagent leurs histoires, qui disent qu’elles vont s’aider. Fière de voir que quand il y en a une qui a besoin de bosser, elles s’aident. J’espère juste que ça va tenir. J’espère que les hommes vont protéger les lionnes aussi.

Mais pour moi, ça ne va pas assez vite.

Mon rugissement c’est que je pensais qu’en créant les lionnes, nous allions faire le ménage sur les dix dernières années. Ma plus grande colère c’est de voir qu’encore aujourd’hui, à l’heure où on se parle, il y a des jeunes femmes qui nous envoient des messages en nous disant que ça se produit encore. Dans des agences peu connues certes, il y a encore des jeunes femmes de 22 ans qui rentrent de tournage, à qui on a dit qu’il n’y avait pas assez d’argent sur la production donc qu’il fallait qu’elle dorme avec le directeur de création…(?).

Donc si les blagues sont validées, si les stéréotypes sont dans les images, si les femmes ne sont que des objets, eh bien dans ce métier, on n’aura jamais la chance d’être à égalité. Donc il faut prendre le pouvoir. Obligé. Et pour ça, il faut s’organiser…

Retrouvez toutes les actions des Lionnes sur leur site : www.leslionnes.club

Le dernier rugissement en date des Lionnes : insurrection et détournement de la campagne Meetic de Marcel, sortie le 17 juillet 2019.

 

 

Il était une fois… 2019