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Sofia : jamais sans ma fille…chapitre 1/3

14 novembre 2019

« J’ai pris un peu de temps pour savoir si j’étais prête à partager mon histoire mais je me dis que mon aventure peut servir à d’autres femmes qui sont dans ce désir d’enfants…Alors, me voilà, prête à me livrer et à revenir sur la rencontre avec ma fille… »

 

Nous sommes en plein cœur de l’été 2019 et Sofia*, 44 ans, me dépeint avec beaucoup d’émotions l’aventure qui a fait d’elle une mère. Oui mais seulement voilà, être mère quand on est seule, divorcée, et que la vie ne vous a pas vraiment épargnée – Sofia a perdu il y a quelques années, une petite fille au creux de son ventre rond de 8 mois…- n’est pas tout à fait ce qu’on appelle un chemin rapide et léger…

Et de ce genre de drame, généralement, on ne se remet pas. Généralement. Car vous allez le découvrir avec moi, Sofia est de la trempe des vaillantes. Le sang de la ténacité et de l’audace coule dans ses veines. Sans ça, son désir féroce, sa force herculéenne, son amour fou, et sans l’aide précieuse de sa famille, peut-être qu’on n’en serait pas là…

Laissez-moi donc vous raconter l’histoire de Sofia, notre vaillante mama…

Je ne donnerai pas la vie…

Voilà comment elle se dépeint : « 45 ans, issue d’une double culture française et tunisienne, coureuse de marathon ». Par ailleurs, Sofia est professionnellement stable, proche de sa famille, déterminée, intègre, joyeuse, entière, célibataire et divorcée. Sofia fait partie de celles qui, à 40 ans, ont entrepris le grand chamboulement. Son parcours de vie « pas simple » comme elle l’avoue, est celle d’une mère née. Une femme qui sait que le don d’aimer est fermement, en son sein, ancré. Alors même si la perte d’un premier enfant l’a lourdement affectée, Sofia n’a pas voulu abandonner, elle a continué, avec son mari, à essayer…sans succès. Et puis un jour, le couperet… Les médecins sont formels : « Vous n’aurez plus d’enfants de manière biologique ». Sonnée, ébranlée, choquée, son couple n’y a pas résisté.

Alors, la vie a dû recommencer. Une nouvelle moitié s’est pointée. Ce dernier la fait espérer et la rassure sur ses doutes d’enfanter. « Ne t’inquiète pas, tout va bien se passer »…mais le temps continue de glisser…et la nouvelle moitié, qui avait déjà des enfants de son côté, au bout d’un an, admet :« En fait, je n’en veux plus ». Deuxième coup de massue. C’est alors que Sofia dit avoir eu un « déclic ». Qu’est ce quelle veut vraiment ? Un amoureux ? Un enfant ?

Avoir un enfant toute seule ?

Elle m’admet alors, amusée, qu’elle avait toujours fait la promesse suivante à ses parents, tous deux tunisiens, extrêmement ouverts et aimants : « Si à 40 ans je n’ai pas d’enfants, j’adopterai ».Mais Sofia m’explique que « dans la culture maghrébine, musulmane, l’adoption c’est pêché ! C’est kafala. Un enfant adopté gardera toute sa vie son nom de naissance, il ne portera jamais ton nom, n’aura pas le droit à son héritage ». Or pour elle, le besoin d’enfant devenait vital. Elle a toujours aimé les enfants, elle voulait être maman, c’était viscéral. Et puis ses parents ont fait l’impensable, le formidable, l’inoubliable. Voyant leur fille en détresse, avec une vie amoureuse qui « battait de l’aile », ce sont eux qui sont allés, les premiers, se renseigner en Tunisie au sein d’un orphelinat. Ils ont expliqué son cas de « femme seule » et sont revenus en France pour la rassurer :« Tu peux adopter, ça va prendre du temps parce que tu as 40 ans et qu’ils donnent la priorité aux couples mais c’est bon…la porte reste ouverte ». Sofia, émue, comprend alors que ce sera peut-être plus facile pour elle d’adopter en Tunisie. Alors, c’est parti ?

©Claire Soldaini

 

Je sais que ma fille se trouve en Tunisie…

Elle sait que ce sera long. Elle sait qu’il y aura des milliers de conditions. Voilà venu le temps de la réflexion…Même si elle est aidée, elle sent bien qu’elle seule peut décider de sauter le pas. Alors elle laisse passer l’été, attend que ses 42 ans aient sonné…puis informe ses amis que ça y est, elle est prête à lancer la démarche en France ! Au détour de conversations avec l’avocat de ses parents qui a une connaissance qui travaille au Ministère des Affaires Sociales, elle comprend alors que la première étape sera la demande d’agrément en France. Elle se rend donc à sa première réunion d’information. Un vrai tourbillon. Tout y est fait pour faire douter, pour faire pleurer, pour effrayer, pour dissuader. Elle « pleure toutes les larmes de (s)on corps » me confie-t-elle, et en sort effondrée. Elle appelle alors son frère qui, à compter de ce jour, ne cessera de l’aider, de l’épauler, de la conseiller, de la consoler.  « C’est normal qu’ils soient durs! – lui rétorque-t-il -, il ne s’agit pas d’obtenir une télé, mais un bébé! ». Et si c’était vrai ? Elle comprendra plus tard que toute cette mise en scène était peut-être bel et bien calculée, histoire de « juger de la ténacité »  des parents qui souhaitent adopter.

Il ne faut jamais être seule quand on se lance dans une adoption toute seule…

Oui parce que « derrière, c‘est un enfant abandonné qu’on te confie ! Qui a vécu des blessures. C’est une responsabilité à vie! Si t’es pas solide mentalement, tu peux pas gérer ! »Alors Sofia est entourée, oui, mais elle souhaite se préserver. C’est pour ça qu’à part sa famille et quelques amis très proches, personne n’est dans le secret. Pas envie d’entendre les commentaires, encore moins les commères et surtout « pas envie de faire pitié, si par malheur ça ne devait pas fonctionner… »

Puis après un deuxième entretien bien passé, elle dépose en décembre 2016 son dossier en recommandé. Fiches de paie, contrat de travail, feuilles d’impôt, lieu de vie. Tout est scruté, tout est vérifié, histoire de voir si financièrement, elle est capable d’assurer.

Ma vie passée au peigne fin …

Mais le parcours du combattant ne fait que commencer. Sofia doit encore et toujours continuer à prouver, continuer à se justifier. Lors de son premier rendez-vous en janvier 2017 dans les locaux de la protection de l’enfance, elle expose son projet. Sofia souhaite adopter une petite fille de moins de deux ans, d’origine tunisienne, comme elle, pas plus âgée pour avoir l’occasion de pouponner et de créer des souvenirs bien ancrées, et une famille solide sera là pour les entourer… Elle est soutenue par un avocat là-bas. Ne vous inquiétez pas ! Mais ça ne suffit pas « Et pourquoi vous vous lancez toute seule dans tout ça ? Et pourquoi n’y a-t-il pas de papa ? Mais c’est insensé, jamais, de toute façon, en France, elle ne pourra… »

Pendant près de 6 mois, jusqu’en juin 2017, assistante sociale et psychologue se relaieront pour l’assaillir de questions. « Pour le bien de l’enfant », lui dira-t-on. Mais sur le coup, Sofia ne comprend pas, Sofia voudrait qu’ils arrêtent là… Et puis en septembre 2017, enfin, son dossier passe en commission avec un avis favorable.

Aussi dures soient les conclusions, aussi touchée Sofia soit-elle de toutes les remarques inscrites sur le dossier d’adoption, le rapport s’avère très positif. Ouf. « La psychologue m’a trouvée équilibrée et a bien vu que nous étions une famille très très soudée »rit-elle, soulagée.

©Claire Soldaini

C’est parti pour l’étape tunisienne en France maintenant…

Sofia a obtenu l’agrément français qui lui permet de passer à la suite du projet, tenter sa chance à l’étranger et revenir sur le sol français avec, inch’allah, un enfant adopté.

L’avocat en Tunisie gère alors toute la partie administrative du dépôt de dossier là-bas. Sofia réalise la chance qu’elle a. Pour l’instant, pas la peine d’informer son employeur. On n’en n’est pas encore là…puis une enquête sociale qui manque à l’appel, et c’est tout le dossier qui bat de l’aile. Alors elle décide de reprendre la main. Direction le consulat tunisien.

Elle est loin de s’imaginer ce qui va lui arriver. Elle est reçue par deux hommes qui n’ont pour elle que dédain et pitié. « Racontez-moi toute votre vie. Où est le papa ? Seule ? Mais vous n’y pensez pas ? Qui va s’occuper de cet enfant ? A la crèche ? Donc vous adoptez pour mieux abandonner !? Un enfant a besoin d’un père et d’une mère. On n’a pas idée de penser le contraire !  « …Et l’acharnement continue de longues minutes. Le véto est avéré. Ces hommes là ne l’épargneront pas.

Mais l’espoir renaît quand à la fin, il lui dit que, « sur ordre de personnes tunisiennes bien placées », il accepte que l’enquête puisse continuer. Il se montre dur, exigeant, pédant. Alors Sofia a l’idée lumineuse d’appeler son frère pour qu’il reprenne le dossier et qu’il fasse croire à cet homme que c’est lui qui sera derrière pour assurer. Deux jours après, en costard-cravate, il sort le grand jeu, s’occupe du méchant monsieur, l’amène dans sa grosse voiture rutilante dans l’appartement de Sofia et lui tient le discours de l’homme fort, issu d’une bonne famille croyante, riche et protecteur…Et c’en est fait, le méchant monsieur est charmé.

Un agneau apparaît. Le rapport qu’il rend finalement est on ne peut plus gentillet. Nous sommes en décembre 2017 et son dossier est complet et accepté. Elle peut maintenant passer en commission…

*Prénom modifié

Il était une fois… 2019