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Au frais, tes oeufs tu mettras
27 août 2019
Cette histoire débute il y a environ 2 ans…
Il y a environ 2 ans, Anne* vit au Moyen-Orient, Anne est célibataire, Anne a 34 ans, Anne fait le bilan…et Anne n’a pas d’enfants.
Aucun drame à l’horizon, mais elle sent bien que pour trouver chaussure à son pied, loin loin là-bas, dans ces contrées, elle risque fort de galérer.
Alors, un jour, voyant le célibat s’abattre dangereusement et longuement sur toutes les femmes expatriées des environs, aussi « sublimes » soient-elles me dit-elle, elle décide de faire ses clics et ses clacs, et de rentrer en France, « histoire de se laisser une chance ».
Non que l’envie d’être mère soit une envie qui la tiraille depuis toujours. Non. Anne fait partie de celles qui pensent que l’ « appétit vient en mangeant ». Petit 1, un copain, petit 2, voir si le fait d’être en couple donne envie d’aller plus loin et de faire d’éventuels bambins. Car la petite trentaine, sans être désertique, lui apporta des histoires somme toute assez basiques. Un célibat « on-off » comme elle le décrit sans aucune note d’amertume dans la voix. Simple constat.
La petite graine commence à germer…
Puis un jour, autour d’un café, une amie d’Anne lui lança : « Ca te dirait pas d’aller à Barcelone avec moi ? » , « Pour faire quoi ? », « Pour congeler mes ovocytes », « … ». Anne en resta coi. Jamais elle n’avait entendu parler de ce curieux procédé.
Pourtant, la petite graine germa et Anne commença à se renseigner, à fouiller, à se documenter sur le sujet. Après tout, pourquoi pas ? Du dégoût (injections d’hormones à répétition et effets secondaires indésirables, caution d’un business juteux qui fait débat),à la décision, en passant par l’hésitation, au bout de 8 mois, Anne a fait son choix. Elle est prête à plonger. Le but : pas tant avoir un bébé que se laisser ouvertes toutes les possibilités .
Contrairement à de nombreuses femmes qui vivent cette expérience seules, mal entourées ou sous l’empire souverain de la culpabilité (proches, corps médical, société), Anne, elle, est bien accompagnée. Une généraliste empathique et compréhensive qui lui propose de faire un bilan de fertilité et la dirige vers une gynécologue à même de la guider dans son projet. Et surtout une amie avec laquelle elle décide d’entamer officiellement le parcours du combattant. Méthodiques, rapides, pointilleuses, stratèges et déterminées. Ensemble, elles ont un plan d’action rondement mené. Partage des tâches, rétroplanning, appels et emails aux cliniques sélectionnées. L’une gère la Belgique, l’autre l’Espagne. Au final, les choix divergent…
Mais pour Anne, en tout cas, un mot d’ordre : Espana ! A Barcelone, elle ira. Aux frais, dans une clinique loin là-bas, ses œufs elle mettra.
Viva Espana !
Après un premier voyage de repérage où, seule, elle s’arme de courage, elle part rencontrer les équipes médicales qui lui présentent en détail le reste du process. Mais si un souvenir demeure, c’est celui d’avoir été enveloppée d’un voile épais de solitude faisant écho à ses longues années d’expatriée. Or de cette solitude, elle se serait bien passé.
A ce moment là, niveau appart, Anne est en plein dans les cartons, et vient de retrouver un boulot, donc niveau stress et organisation, c’est un poil costaud. Entre les consultations, l’achat des produits d’injection, les échographies à répétition, les prises de sang pour vérifier où la grosseur de ces ovocytes en sont…Heureusement qu’Anne est plutôt du genre « Tu l’as dit, tu le fais », sinon, c’est peut-être là qu’elle aurait abandonnée. Cette fébrilité atténue le voile de solitude qui l’enveloppe à nouveau dans les salles d’attente des centres d’échographie. Autour d’elle, des femmes qui « échographient de vrais bébés, entourées de leur moitié, alors que toi, t’es là pour échographier…des œufs, esseulée ! ».
Et puis est arrivé ce fameux jour où la clinique barcelonaise l’a appelée pour lui dire que l’heure était arrivée, que ses ovocytes étaient à maturité. Cette fois dans son barda : quelques économies, un bon ami, une forte dose d’énergie, et c’est reparti. Direction la congélation.
Voyage, anesthésie, et revoilà notre douce amie.
Et toi t'(en) as eu combien ?
Puis le résultat. « J’ai pondu 17 ovocytes ! » . Pas mal semblerait-il. De quoi souffler, en attendant l’arrivée de celui avec qui elle décidera (ou pas) de les utiliser.
Ce jour, elle s’en souviendra. Un vieil ami avait fait le voyage avec elle. La journée était belle. Le soleil barcelonais tapait de plein fouet. Anne se rappelle même s’être pris un coup de soleil sur le coin du nez.
C’est ici que l’histoire aurait pu se terminer…
Seulement voilà, la vie, joueuse, s’en est mêlée. Un mois après, derrière un écran, en swipant nonchalamment, v’la ti pas que débarqua le Prince Charmant…celui qui, quelques mois plus tard, lui annonça qu’il voulait être Papa. « Il te reste quelques ovaires pour en faire naturellement » ? lui demanda-t-il fébrilement. « Oui oui » répondit Anne, ravie. Alors c’est parti !
Aujourd’hui, Anne est enceinte de 4 mois.
Alors ? Des regrets ?
Elle n’a aucun regret, se dit que peut-être, grâce à cette expérience, « les lignes ont bougé. Dans ce marché du célibat, j’étais dans une indécision permanente. On se dit toujours qu’on peut trouver mieux. Mais le fait de mener cette expérience à bout, d’éprouver une fois de plus cette douloureuse sensation de solitude, m’a surtout permis de réaliser ce qui est était vraiment important pour moi » . Soudainement, ses œufs aux frais, elle était rassurée… Enfin elle pouvait aborder ses prochaines rencontres avec plus de sérénité…Et c’est là que sa moitié est arrivée.
Anne aurait un simple souhait. Que la France avance un peu dans ses positions et légalise la pratique. Elle argumente : « pas forcément une prise en charge mais au moins l’autorisation légale. Pourquoi embêter les femmes avec ça ? Le business model des cliniques est le suivant : récupération des ovocytes, stockage gratuit pendant 2 ans, ensuite tu payes un « loyer » si tu veux les conserver. Sinon, au bout de 2 ans, soit tu en fais don, soit tu demandes leur destruction. Les cliniques se retrouvent donc avec beaucoup d’ovocytes sur les bras. Or ces mêmes cliniques accueillent des couples stériles. Si la France l’autorisait, les ovocytes « abandonnées », au moins, pourrait être utilisées et on écourterait le parcours du combattant de ces couples français qui ne peuvent pas mais veulent des enfants . Certains vont donc en Espagne pour espérer…»
Et donc ces oeufs, qu’est-ce qu’on en fait ?
Anne ne sait pas encore quel choix elle va faire. Don ou destruction ? Elle se laisse jusqu’à la petite quarantaine pour en décider. Sait-on jamais, si elle en voulait un 2ème mais que, naturellement, ça pêchait, ses ovocytes barcelonais pourraient bel et bien les aider. Et maintenant que dans le ventre, se développe un petit bébé, Dame éthique ne cesse de la titiller. Les léguer, ok, mais ce serait aussi potentiellement donner au petit qui sommeille en elle des demi-frères ou demi-soeurs inconnus. Pas aisé…
Anne se laisse porter. Elle risque d’avoir d’autres priorités dans les prochaines années avec l’arrivée de qui vous savez…
*le prénom a été modifié
MISE DE VOS ŒUFS AU FRAIS : QUELQUES DONNEES CLES
- La congélation d’ovocytes chez les femmes est autorisée en Espagne, en Belgique, aux Pays-Bas ou en Grande-Bretagne…mais pas en France, sauf, depuis 2011, lorsqu’elles subissent un lourd traitement médical (une chimiothérapie, par exemple) ou si elles acceptent de faire don d’une partie des ovocytes obtenus.Dans ce cas, elles sont autorisées à en garder la moitié pour elles, ce qui limite mécaniquement leurs chances d’avoir un enfant.
- D’après le modèle du chercheur de l’Institut national d’études démographiques (Ined) Henri Leridon, la fertilité féminine chute progressivement à partir de 35 ans: le taux de conception à 12 mois passe ainsi de 75 % à 30 ans à 66 % à 35 ans, puis à 44 % à 40 ans, avant la ménopause vers 50 ans.
- En France, l’âge du premier enfant chez les femmes est passé de 24,5 ans en moyenne dans les années 1970 à 28 ans aujourd’hui.
- Coût approximatif de la congélation d’ovocytes (aussi appelée « vitrification ») : entre 4 000 et 4 500€, avec le protocole et les frais de voyage.
- En France, les hommes ont le droit de congeler leur sperme. Les femmes n’ont pas le droit de congeler leurs ovules…
- En 2018, d’après le Centre bruxellois pour la médecine de la reproduction (l’un des plus grands centres de fertilité d’Europe), seulement 7% des femmes qui font congeler leurs ovocytes pour des raisons personnelles y ont finalement recours…
- Un bouquin : Et toi, tu t’y mets quand ? de Myriam Levain
- Une émission de radio : https://www.franceinter.fr/emissions/interception/interception-13-janvier-2019
- Une vidéo :
- https://www.youtube.com/watch?v=4lhRguE-5cE
- Crédit photo d’accueil : ©Danielle MacInnes
Il était une fois… 2019