Solidarité

« Aux Oubliées » : des livres et des mots pour permettre aux femmes incarcérées de s’évader…

27 février 2020

Elles sont enfermées, parfois isolées, dans des structures inadaptées. Elles ne représentent que 3,5% de la population carcérale en France et sont, de fait, les grandes « oubliées » du système.

 

Elles n’ont que très peu d’accès à des produits culturels leur permettant de s’évader…

 

Alors Maria Rufilanchas, une femme à l’extérieur des murs, a décidé un jour en Espagne, de faire passer par le biais de la littérature, des messages d’amour, d’espoir, de vie, de solidarité. L’idée ? Demander à des inconnus de choisir un livre, d’y griffonner un mot, et de le faire parvenir aux femmes détenues entre quatre murs. Et le succès en moins d’un an, a traversé les frontières.

 

Aujourd’hui, en France, le passage de relais s’est fait et c’est Laure Gomez Montoya qui décline cette belle initiative.

 

Je l’ai rencontrée, voilà ce qu’elle a à nous dévoiler sur le projet « AUX OUBLIEES »

Laure Gomez Montoya présidente de l’association « Aux Oubliées ». © Sonia IMBERT

1 – Bonjour Laure, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

 

J’ai 45 ans, j’ai 2 filles et j’ai différentes casquettes. Hypnothérapeute, éditrice, et j’écris des documentaires. J’ai notamment collaboré l’année dernière avec Lisa Azuelos à la production du documentaire YOLOVE, sur la violence à l’école. Par ailleurs, j’ai toujours travaillé dans le monde associatif sur des sujets comme la prévention contre le sida en Afrique ou les violences faites aux femmes.

 

2 – « Aux oubliées » est une initiative culturelle, féministe, poétique et solidaire lancée en Espagne, il y a un an, par Maria Rufilanchas. Comment l’idée de reprendre ça en France vous est venue ?

 

C’est un prolongement naturel en fait. Je suis moi-même franco-espagnole et Maria est une de mes plus vieilles amies. Elle a toujours lu

beaucoup. Elle ne savait plus quoi faire de tous ses livres. Et de fil en aiguille, elle s’est demandé quels livres elle offrirait à des femmes incarcérées mais surtout quels mots accompagneraient ces livres pour créer et maintenir un lien.

 

L’objectif ? Faire un pont avec ces femmes qui sont à l’intérieur. Nous ne sommes pas du tout des spécialistes du monde carcéral. Mais en gros, partout en Europe, les chiffres sont sensiblement les mêmes : il y a environ 6% de femmes incarcérées. Et au sein de ce système, elles sont mises de côté. Elles sont cloîtrées dans des quartiers spéciaux, ont moins accès aux commodités.

 

3 – « Aux oubliées » en 4 mots ou valeurs clés ?

 

Humanité, lien, chaleur, rompre la solitude.

 

4 – Le premier message sur les réseaux sociaux date du 10 décembre 2019. On peut donc dire que c’est la date de lancement en France. Quel premier bilan quelques semaines après ?

 

A peine une semaine après, on a avait déjà énormément de demandes. Je me souviens de la postière qui m’appelle un jour en me disant « Mais il se passe quoi chez vous ?? On a reçu près d’une centaine de livres en moins de 10 jours ! »

 

Or ce n’est pas du tout mon univers donc j’ai demandé de l’aide à une amie éditrice chez Stock, Debora Kahn-Sriber. La question était simple : où réceptionner tous ces livres ? C’est finalement Karine Vincent aux éditions L’Iconoclaste qui nous a proposé leur adresse comme adresse de destination.

 

Et puis, l’effet boule de neige s’est fait sentir…des librairies ont installé des boîtes spéciales au sein de leurs espaces, des lycées en ont fait leur sujet/projet en classe de première, tous les jours, on reçoit un nombre d’emails incalculables .Ce soir, j’ai un tournage pour TV5 Monde pour parler du projet. Beaucoup de gens veulent s’impliquer. Ca a pris une proportion énorme !

 

Au bout d’un mois, on comptait plus de 2546 abonnés sur Instagram, près de 3000 livres reçus.

 

Donc là, on va passer en forme associative. Je travaille actuellement à la rédaction des statuts. Par ailleurs, une jeune fille s’est proposée de nous aider à lever des fonds via une campagne de crowfunding.

Notre souhait principal : acheter des bibliothèques qu’on installera au sein des prisons pour femmes.

 

 

5– Y a t-il des contraintes ou des règles particulières à respecter sur le choix des romans, sur les messages etc

 

Non, pas de règles sur le type de livres envoyés. Tous les formats BD, roman, polar, érotique, récit etc sont acceptés. La seule contrainte que nous ont donnée les centres de détention, c’est qu’il ne faut inscrire aucune coordonnée. Aucun nom de famille. Rien.

 

6 – Quand et où aura lieu la première « distribution » ?

 

Nous serons à la prison de Fleury-Mérogis dans le quartier des femmes le 9 mars prochain. Nous allons expliquer notre démarche aux quelques 280 femmes détenues. Notre souhait est de leur raconter tout ce qu’il se passe à l’extérieur, toute la solidarité et la mobilisation que suscite leur cause. On veut leur transmettre un élan, leur dire que non justement, « vous n’êtes pas oubliées ». Beaucoup de gens pensent à vous. Ils vous le prouvent grâce à cet objet. Enfin, disons plutôt « elles » car près de 80% des donateurs sont des femmes.

 

7 – En quoi le livre et les messages qui les accompagnent peuvent tout changer ?

 

Si on parle de « l’objet » livre en tant que tel, plein d’associations s’en chargent très bien depuis des années. Le livre comme objet de culture, d’évasion…Mais avec « Aux Oubliées », la différence, c’est ce mot. Ce mot est une intention de lien, çà fait toute l’humanité de la démarche. Ce mot est impliquant. Les donateurs/trices expliquent ce que la lecture de tel ou tel livre leur a apporté et en quoi il va pouvoir à son tour peut-être aider la femme qui le reçoit. C’est une histoire de transmission. Et on sait que les histoires peuvent être thérapeutiques. Regardez les contes qu’on lit aux enfants. Ils ont un pouvoir réparateur !

 

 

 

 

8 – Quelles sont les zones « couvertes » à ce jour ?

 

Pour l’instant, uniquement Fleury-Mérogis, mais nous attendons le planning au niveau national. C’est très hiérarchisé.

 

L’idée sera d’aller une fois par mois dans une maison d’arrêt quelque part en France. Mais il y a déjà des demandes à l’étranger. Nous avons des contacts en Suisse, en Belgique, en Guadeloupe.

 

9 – Quels sont vos besoins aujourd’hui ?

 

Nous sommes 3 aujourd’hui dans l’équipe et je dirais qu’on a toujours besoin de personnes bénévoles pour nous aider à trier les livres, à lire les mots pour être certains qu’il n’y a aucun message insultant par exemple. Et comme je le disais, feuilleter tous les livres pour vérifier qu’il n’y a aucune coordonnée glissée dans les livres…

 

10 – Avez-vous été surprise, touchée par une anecdote en particulier depuis le lancement ?

 

Alors, oui. Incroyable (et d’ailleurs on va contacter cet auteur pour lui dire) mais le roman La tresse de Laetitia Colombani, est de loin le roman qui est le plus partagé. Sans exagérer, on l’a reçu plus d’une centaine de fois !

 

 

11 – Quelle rêve pour cette association ?

 

Si d’ici un an, on arrive à lever un peu de fonds, mon rêve serait que dans le cadre de programmes de réinsertion, certaines de ces femmes soit celles qui travaillent à nos côtés pour envoyer à leur tour des livres à des détenues. La boucle sera bouclée…

Illustration © Marta Hernandez Galan

Pour contacter l’association, consultez leur site : auxoubliees.org

 

 

Il était une fois… 2019