Coup de coeur
Fred* ou l’art de l’esprit paysan 2.0 : être et savoir.
28 juin 2019
Il y a quelques semaines, l’hebdomadaire le 1 éditait un numéro sur le géant Facebook intitulé Facebook : la nouvelle fabrique de l’opinion.
Un monde « merveilleux » où un algorithme aussi mystérieux que vicieux nous présente uniquement les opinions qui sont les nôtres à l’infini, cocon moelleux où tous nos « amis » sont d’accord avec nous, et où toute idée contraire à la nôtre ne nous est bizarrement jamais présentée. Or le B.A -BA de toute formation intellectuelle est bien d’avoir en permanence une petite fenêtre ouverte vers cette idée…oui, elle, là, cette idée qui nous dérange, mais qu’il serait néanmoins intéressant d’écouter…ce gars, ici, qui m’intrigue par son discours « hors des sentiers battus » mais qui donne une autre vue du monde dans lequel je me débats…cette femme, là-bas, qui ne pense pas tout fait comme moi mais dont les arguments sont au moins aussi valables que les miens. Bref, la vie, le désaccord, l’écoute, le débat, le dialogue, l’échange.
Et c’est comme ça que j’ai rencontré Fred*. Fred m’a intriguée, m’a intéressée, a attisé ma curiosité et j’ai eu envie de vous faire croquer 😉
Allons donc papoter avec celui qui va, je l’espère, gentiment vous chahuter…
1 –Bonjour Fred, qui es-tu ?
Aïe. Vaste question. Je dois t’avouer que l’exercice du commentaire de soi-même n’est pas facile, voire à la limite de la malhonnêteté…Au fond, on n’est jamais réellement tel qu’on se présente mmm ? Mais bon, si il faut vraiment y aller…alors…Je m’appelle Fred, je suis poitevin d’origine, j’ai effectué mon service militaire en Polynésie pendant 2 ans, vécu en Guadeloupe pendant 20 ans avant de revenir en Métropole en 2014. Je suis un homme atypique, avec un désir et une volonté de liberté très exacerbés, gentil et parfois provocateur. (rires)
Et si vraiment on voulait me mettre une étiquette, je dirais que je suis un paysan au sens propre du terme : je suis une personne attachée à la terre et qui a du bon sens, qui ne mange pas de fraises en janvier (rires) et qui vit de manière adéquate avec son environnement.
2- Quelle est ta vision de l’avenir ?
A court terme, je le vois très sombre, mais quand je dis très sombre, c’est pour l’humanité hein ? A contrario, la Nature, elle, va très bien s’en sortir (rires). Le système dans lequel nous vivons, ou plutôt dans lequel on nous entraîne, n’est, selon mon analyse, ni sain, ni viable, donc mathématiquement on se dirige vers de vraies catastrophes. C’est là qu’entre en scène un des principes qui gère ma vie actuellement, le principe des 3P : Possible / Plausible / Probable.
3- Mmm..tu peux développer ?
Je gère ma vie sur ce qui est probable.
Exemple :
- ce qui est possible, c’est que demain on soit envahit par des extraterrestres (rires)
- ce qui est plausible, c’est que cette nuit, ma maison brûle (comme c’est arrivé à un couple d’amis proches il y a un an…)
- ce qui est probable, c’est que dans ma vie, je vive une coupure d’électricité, que je me retrouve au chômage, que mon amie ou moi ayons un accident domestique, qu’on n’ait plus d’argent…
Voilà ce dont je me préoccupe dans ma vie quotidienne. Je veux pouvoir pallier de manière sereine à tous les probables possibles. Et surtout, outre la préparation à l’éventuel effondrement cataclysmique (rires) liée à ma vision sombre de l’avenir de l’humanité, cet état d’esprit me permet de mieux vivre ICI ET MAINTENANT, c’est çà qui est important. Et quand je dis « mieux », j’entends « moins cher et de meilleure qualité ».
4 – Tu peux me citer quelques exemples concrets au quotidien ?
a – M’occuper de mes poules : les nourrir, récupérer et me nourrir de leurs œufs, et aussi les observer pour apprendre d’elles.
b – Même chose pour le potager : enlever les herbes qu’on considère ne pas être à leur place (tout en sachant que ce ne sont pas forcément de « mauvaises » herbes), semer, planter, récupérer les fruits et légumes donc acquérir de l’expérience. Il faut savoir que je pars du principe que tout ce qui s’achète, paradoxalement, ne vaut rien. Dés que ça passe par le biais de l’argent, c’est foutu, malsain. Tout ce qui est est bon, c’est ce que tu acquières par l’expérience, ce que tu fais pousser etc.
c – Etre en éveil permanent par rapport à la Nature.
d – Acquérir de la connaissance. Alors ça, c’est fondamental comme application concrète. Que ce soit en surfant sur Internet ou en bouquinant un livre sur de la technique, type « La maison rustique du 19ème siècle« , la bible du fermier ou du paysan. Il faut dire que je suis par ailleurs extrêmement sensible à la beauté de la langue française : Molière, Céline, La Fontaine, ça fait aussi partie de moi. C’est grâce à ces filtres là que j’en suis là et que je vois le monde de cette manière.
e – Ne plus se servir de la Nature mais être à son service. Je pars de temps en temps avec mon frère ou tout seul en forêt pour une nuit (environ 7 à 8 fois par an), pour me rapprocher de la Nature. Mais pas uniquement. C’est aussi un hommage, un moment agréable. C’est comme faire du camping. Ce sont un peu des « vacances ». On se remet au bon rythme biologique. On part avec une bâche pour se protéger de la pluie, une tente ou un hamac ; des choses qui coupent ( couteaux, coutelas, hache) ; un duvet, de la ficelle et basta !
5 – Comment tu décrirais ton mode de vie en quelques mots ?
- Eduquer par l’exemple
- Vivre dans les principes les plus respectueux possibles de la Nature
- Vivre en étant le plus indépendant possible dans tous les domaines
- Etre « léger ». Rien n’est grave…
- Essayer d’être le plus résilient possible à tout ce qui est probable (mon fameux 3ème P du début ;-)) : quand quelque chose sort de ta normalité, tu es plus ou moins résistant. Tout à l’heure par exemple, on parlait d’une coupure d’électricité. 1h ça va, tu tiens. 1 journée déjà, tu fais un peu plus la gueule (rires). 1 semaine ou plus, pas de secret, il faut vraiment y être préparé.
6 – Ta plus grosse peur concernant l’avenir ?
Je n’ai peur de rien (rires). Non mais sérieux ! Je n’ai aucune crainte. Tout simplement parce que je suis adepte de la phrase du maître bouddhiste indien Swami Prajnanpad qui a dit que « tout ce qui arrive, arrive pour le mieux ».
7 – Ta philosophie aujourd’hui a l’air d’être riche, réfléchie et cohérente, mais y a-t-il des moments où tu as senti que certaines de tes actions étaient vaines, exagérées ou tout simplement pas fondamentales ?
Ah oui oui ! J’apprends tous les jours ! (rires) Mon premier réflexe a été d’acquérir de l’avoir (un sac d’évacuation, une réserve de papier toilette, de savons, etc) mais c’est évidemment inutile ! Aujourd’hui, j’ai compris que l’important c’est d’acquérir de l’être et du savoir.
*Prénom modifié
Il était une fois… 2019