Littérature

Interview confinée – Alexis Potschke, auteur de « Rappeler les enfants ». Ep.3

9 juin 2020

Nous étions le 6 mai. Dans quelques jours, nous serions déconfinés. Voilà plusieurs mois que j’avais envie de lui parler, alors je l’ai relancé…et ça s’est fait ! Entretien avec Alexis Potschke, auteur du roman « Rappeler les enfants ». On va parler doute de l’écrivain, bonheur d’enseigner, prof et élèves confinés etc.

Comme cet entretien était fort passionnant, je vous propose de le découvrir en plusieurs épisodes. Dans ce troisième épisode, Alexis nous parle de son rôle en tant que professeur confiné

Pendant le confinement, comment gérez-vous la relation avec les élèves ? 

Tout est allé tellement vite….le jeudi soir (12 mars), on a appris que les écoles fermaient à partir du vendredi. On avait prévu de se réunir le lundi pour mettre en place un plan d’organisation des cours à distance, mais entre temps, le samedi, la décision de confinement est tombée et finalement, quant aux présences le lundi au collège, on est passé de « tout le monde vient » à « personne ». Ce jour-là, je me souviens avoir été très angoissé. Et les élèves aussi bien sûr…alors, je suis allé faire des courses et ensuite, la première chose a été de trouver un moyen de maintenir le lien avec les élèves. C’était ÇA le plus important ! Honnêtement, le fait de terminer le programme, c’est devenu complètement illusoire. Donc pour nous, l’année scolaire s’est terminée ce jour là. J’ai distribué des livres, j’ai parlé aux élèves, j’étais un peu sonné. On leur a redonné les identifiants PRONOTE (logiciel d’accompagnement et de gestion de vie scolaire, ndlr) et le mardi, on a fait cours sans vraiment savoir comment ni pourquoi. Donc mon objectif à compter de ce jour a été clair : maintenir le lien.  Ça correspond à ma manière de faire, tout simplement ! Je passais du temps sur les classes virtuelles (DISCORD ou la plate-forme du CNED), j’ai pu retrouver des élèves, j’ai pu continuer à leur parler, on a dû réinventer la manière de faire cours, parce qu’il faut bien se dire une chose, c’est qu’on perd plein de signaux dans la non proximité !

Quels types de signaux perdez-vous avec les cours virtuels ?

La « chance » qu’on a si je peux dire, c’est qu’on a appris à connaître ces élèves les deux premiers trimestres avant d’entamer le troisième. A ce stade de connaissance, on arrive à décoder les peurs des uns et des autres. En classe, mon défaut c’est de toujours tout TROP expliquer (rires), de remonter trop haut dans les explications, je parle trop longtemps, j’emploie des mots qui ne sont pas à la portée des élèves… Mais en classe, c’est pas grave, parce qu’ils connaissent ce défaut ! Et moi aussi j’en ai conscience ! Donc finalement, dés que je les vois hausser les sourcils, tourner la tête, lâcher le stylo avec un air exaspéré, tourner la tête…je m’arrête, je souris, et je dis « ok..quand est-ce que vous avez décroché ? » Donc les avoir face à moi ça corrige mes défauts ! Alors que sur la caméra, en classe virtuelle, entre ceux qui ont des problèmes de caméra, ceux qui ne veulent pas qu’on voit leur maison, ceux qui coupent leur micro, on ne sait pas ! On ne sait pas si ils font autre chose en même temps, si ils sont énervés, ou si ils nous écoutent passionnément, parfois on n’a pas de retour ! Et puis j’utilise plein d’artifices dans ma posture de professeur. J’aime parler, raconter des histoires, je théâtralise un peu ma posture, je récite la tirade du Cid (pièce de théâtre de Pierre Corneille, ndlr). J’ai tendance à donner de la voix, je circule beaucoup entre les tables, je regarde beaucoup par dessus leurs épaules. J’ai vraiment une gestion spatiale des mes classes. Et, là, tout d’un coup, je ne l’ai plus. On se retrouve avec le même enseignement mais sans cet espace. On est dans l’impréparation la plus totale, on ne peut plus faire cours comme avant. Mon enjeu : faire en sorte qu’ils viennent, et qu’ils reviennent.

C’est beaucoup de travail supplémentaire pour vous, pour eux ?

Certains ont été échaudés par la pluie de travail qui s’est abattue sur eux dès le premier jour. Vous savez, les profs sont habitués à être traités de fainéant. C’est propre à la profession. Mais on a un travail invisible à la maison, des heures de préparation des cours ! Le grand public ne voit pas ce qui est fait, il pense que ce sont les mêmes cours d’une année à l’autre, qu’on vient sans rien préparer d’un cours à l’autre ! Mais c’est épuisant de faire classe ! Même quand on a une classe adorable, qu’on aime beaucoup. Les gens ne s’imaginent pas qu’après 2h de classe, on est exténué ! Le seul travail où je sortais dans cet état, c’est quand je travaillais à l’usine. Alors, c’est de la bonne fatigue hein ! (rires) Donc les professeurs, sachant qu’ils allaient être traités de fainéants, ont fait ce qui leur a été demandé. Ils ont répondu aux injonctions « Continuité pédagogique…très important… il faut donner du boulot aux élèves ».  Mais il faut bien comprendre qu’on pensait que ça durerait 2 ou 3 semaines max ! On était loin du compte, on en en déjà à 8 semaines ! Au début, il nous semblait logique de leur donner beaucoup de travail pour qu’ils soient prêts. Mais çà faisait beaucoup de travail reçu pour eux. Les parents se sont rendus compte que les devoirs soudainement, c’est plus 1h le soir mais 4h en journée, et puis les élèves sont confinés !

Comment le vivent-ils ?

Pour les élèves, le confinement est pire que pour nous ! Ils n’ont pas le recul. C’est terrifiant pour des gamins de 11 ans, de rester chez soi, de pas savoir quand ils vont ressortir ! Tout ce qui était familier et rassurant devient dangereux. Et en plus, on leur demande de continuer à bosser comme si tout était normal alors que non, tout est anormal ! Les classes virtuelles permettent de pallier certains manques, de garder certains élèves à flot. Le grand intérêt, c ‘est de leur dire qu’on est là, qu’il y a des points de repères, qu’il y a des adultes qui sont là, qui ne peuvent pas les voir mais qui pensent à eux, qu’un jour, on se reverra, on sera les mêmes, on aura attendu la fin de la quarantaine. On ne les oublie pas. Donc c’est un objectif complètement humain, presque de l’ordre du social. Alors je ne passe pas 1 heure à leur demander ce qui s’est passé la veille mais ce type de conversations arrivent plus facilement que d’habitude. Chacun continue d’enseigner sa matière, de donner des exercices, on adapte notre enseignement à la situation hors du commun. Mais à la limite, les acquis qu’il sont sensés avoir sont un prétexte pour leur faire penser à autre chose, pour leur dire « D’accord, rien ne va, d’accord vous ne savez pas ce qu’il va se passer, vous ne maîtrisez pas la situation, mais faire un exercice de français, ÇA  vous savez faire ! Alors on va lire du Molière, toi tu fais Géronte, moi je fais Sganarelle, et toi Daniel tu vas faire Valère. »  Et là, on se met derrière notre micro, et on n’est pas chacun chez soi mais tous ensemble pendant 10mn on est tous en train de lire du Molière. (Le Médecin malgré lui, ndlr)

Aujourd’hui, mercredi 6 mai, vous savez quand aura lieu la rentrée ?

Non. C’est très anxiogène pour les élèves, mais on ne sait pas aujourd’hui quand on rentre. Ca change tous les jours. Souvent, quand notre ministre (Jean-Michel Blanquer, ndlr) parle à la télévision, j’écoute et je fais le lien avec les élèves lors de la classe virtuelle. Certains ne viennent se connecter aux classes que pour ça. Pour que je leur explique, que je les débridée, tout ça avec le devoir de réserve le plus strict possible, à savoir, ne pas donner mon avis, ne pas prendre position politiquement.

C’est important pour vous ce devoir de réserve ?

Oui, très. Je tiens à ce qu’ils se construisent une opinion par eux-mêmes. Si je leur donne mon avis, ceux qui vont être d’accord avec moi, sont ceux qui m’aiment bien, qui pensent comme moi.  Et l’inverse est vrai aussi. Ça viendrait entraver la construction logique de leurs opinions.

Y a-t-il des décrocheurs parmi vos élèves ?

Décrocheurs, non-décrocheurs, franchement ça n’est pas comme ça que j’envisage les choses. Cà n’est pas justifié. Il y a un continuum très assidu et on fait tout pour que les élèves ne décrochent pas complètement. Les « décrocheurs » sont ceux qui n’ont pas accès au matériel ou à une connexion internet. Voilà tout. Il y en a certains oui pour lesquels nous sommes sans nouvelles. Sauf quand on est prof principal. On sait que cet élève n’est pas perdu dans la nature. On met des polycopiés à disposition. A venir chercher au collège. Mais on sait tous qu’un polycopié ne remplace jamais 1h de cours avec les profs. Et puis de l’autre côté, il y a ceux qui ont un ordinateur ou un smartphone. Eux peuvent suivre les cours. Et enfin, on a des élèves qui ont un téléphone mais avec un grand frère ou une grande soeur qui ont priorité sur l’ordinateur. Quand des parents ont un enfant en 5ème et un en 3ème, on privilégie celui qui est en  3ème  et c’est compréhensible bien sûr ! Et puis il y a des parents en télétravail ! Donc l’ordinateur est partagé. A utiliser 1 fois sur 2, 1 fois sur 3, parfois même uniquement 2h par semaine. Donc ce n’est pas forcément parce qu’ils ne VEULENT pas mais parce qu’ils ne PEUVENT pas. C’est difficile pour un prof de faire la différence entre ces deux catégories, mais je m’interdis de penser à ça. Si ils ne sont pas là, c’est qu’il ont forcément une bonne raison. On doit faire confiance aux parents. Plus que jamais. Ils savent mieux que nous ce qui est bon pour leurs enfants de manière générale. L’enjeu c’est qu’ils aillent bien. Et ça, ce sont les parents qui savent.

Vivement le déconfinement et la réouverture des bars 🙂 ©Dave Chilton

Il était une fois… 2019