Solidarité
Laura Layousse – Lega Pace : le sport et l’art pour une trêve apaisée
29 mai 2019
Premier jeudi du joli mois de mai. Ou presque. Déluge au niveau du Trocadéro. Les parapluies s’envolent. Je me réfugie dans un café en attendant celle, qu’aujourd’hui, je dois interviewer. Là voilà, brune et lumineuse. C’est fort à propos, merci pour le cadeau !
Laura Layousse, 31 ans. Parents libanais, petite enfance au Sénégal, parisienne depuis quelques années. Mélange de culture assurée. Elle est chargée de projet et de clientèle dans la communication à son compte depuis deux ans. Mais depuis un an, un autre bébé a trouvé grâce à ses yeux : LEGA PACE. Association qu’elle a créée et dont la mission première est « d’encourager les initiatives créatives dans le sport et la culture dans des zones à risque dans le monde ».
Comme ça m’a intriguée, je l’ai un peu cuisinée.
1- Bonjour Laura, comment est né ton projet ?
On est en octobre 2017. Je lis un article dans le journal Le Monde – Sport qui traite de l’accès au sport pour les femmes dans la Bande de Gaza. Elles jouent au soft ball avec des battes qu’elles ont fait fabriquer par un menuisier, et des balles de tennis ! Je me suis dit que quel que soit le contexte dans lequel elles étaient (interne ou externe), indépendant d’elles et de moi, ces filles arrivaient quand même à trouver la motivation, l’énergie et la volonté de jouer et de s’entraîner…en plus au baseball ! Il y avait un petit côté Rasta Rockett qui me plaisait bien aussi :-).
Alors j’ai contacté le journal Le Monde pour avoir le contact de leur entraîneur. Puis en parallèle, j’ai contacté la Fédération Française de baseball et de Softball, et la Fédération Internationale de Baseball
L’aventure pouvait commencer. On a réussi à leur envoyer 125 kg de matériel…je vais taire « comment » pour des raisons évidentes de sécurité .
2 – « Lega Pace » – Kesako ? Comment le nom est apparu ?
Je cherchais quelque chose qui représente une ligue parce que j’avais commencé par un projet sportif (même si j’aimerais qu’il y en ait d’autres par la suite : sportifs, culturels etc). Je trouve que dans les ligues sportives, il y a une union. Et je voulais par le deuxième mot, mettre la lumière sur le fait qu’on part sur des zones assez compliquées. Au tout début c’était « War Zone League » mais je me suis dit que ça faisait trop jeu vidéo. (rires) Je voulais quelque chose qui apaise. LEGA PACE, c’est « la ligue qui fait une pause à un moment » dans un certain contexte. Ce sont des mots latins, italiens. En plus ça sonne bien (ndlr : à prononcer « Léga Pâââtché ». 🙂
3 – Lega Pace est-elle une association à connotation politique ?
Absolument pas ! Nous avons une volonté complètement apolitique ! Evidemment quand on prononce le mot « Gaza », les gens ont plein de choses qui leur viennent en tête et c’est très important pour l’association, pour moi, de préciser qu’on ne fait pas de politique, ni en interne, ni en externe. Et c’est sûrement la position la plus difficile parce que je ne suis pas là pour faire la paix, je ne vais pas changer la politique du Moyen-Orient. Encore moins dans cette région, c’est beaucoup trop compliqué ! J’ai juste remarqué qu’il y a des gens, qui essaient MALGRE leur contexte, de s’en sortir ! Et en discutant avec d’autres personnes, je réalise qu’il y en a partout dans le monde des gens comme ça ! Alors on s’est dit avec mon vice-président qu’il fallait faire quelque chose qui s’intéresse JUSTE aux individus. Parce qu’on oublie les gens quand on parle du Yémen, de l’Arabie Saoudite. Spontanément on pense aux ventes d’armes etc. On oublie le quotidien, on oublie qu’il y a des gens qui se réveillent tous les matins, qui malgré les bombes, les conflits, ont envie de se dépenser, d’aller jouer, d’aller étudier. Donc Lega Pace c’est ça en fait : encourager ces gens, remettre l’individu au coeur et se dire qu’à des milliers de kilomètres, ou juste de l’autre côté d’une frontière, il y a des gens qui nous ressemblent.
4 – Si tu devais résumer ton projet en quelques mots ?
Initiatives sportives, culturelles, artistiques, quel que soit le contexte, on souhaite prendre des projets et les aider à se professionnaliser. On veut aider les gens qui essaient de s’émanciper par le sport, la culture, l’art, la chanson, à sortir de leur quotidien. Je me répète mais on n’est pas là pour faire de la politique. Le contexte est posé que ce soit en Centre-Afrique, dans la Bande de Gaza etc. On est simplement là pour leur dire « En fait, votre vie est importante. Vous comptez. Ce que vous faites c’est bien et on veut vous aider à vous professionnaliser dans votre domaine »
5 – Peut-on revenir sur le projet dans la Bande de Gaza ? Qui sont ces filles ? Quelles autres types d’aides souhaites-tu leur accorder suite à ce premier envoi de matériel ?
A l’heure où on parle, il y a plus de 80 filles qui s’entraînent tous les jours. Elles étaient 20 au début. Ce sont des étudiantes en université. C’est comme ça qu’elles ont rencontré le coach. Un ancien footballeur de la sélection palestinienne, qui avait appris à jouer au baseball avec un coach irakien en Egypte. Histoire complètement folle ! A l’époque, il entraînait des hommes dans les locaux de l’université. Un jour, une des filles vient le voir et lui dit « On est vingt. On aimerait apprendre à jouer au softball ». C’était en 2017. Aujourd’hui ce sont des semi-professionnelles. 100 garçons, et 100 enfants s’entraînent aussi deux fois par semaine.
- D’où le besoin de matériel supplémentaire.
- On aimerait aussi lever des fonds pour pouvoir envoyer du matériel de manière annuelle, régulière parce que ça grandit énormément.
- On voudrait construire un vrai terrain de baseball sur place.
- Je les ai également aidées à se faire accréditer auprès du Comité Olympique Palestinien.
- Puis on a rempli tous les papiers pour qu’elles soient accréditées auprès de la Fédération Internationale de Baseball et qu’elles puissent participer à des compétitions internationales. Pour le moment, cette petite centaine de joueurs pratiquent uniquement entre eux. Décision très bientôt. On croise les doigts !
- On souhaiterait également créer des cliniques d’entraînement. Normalement on part bientôt là-bas avec deux entraîneurs (un de baseball, un de softball), pour aider les filles à devenir entraineurs aussi parce que jusqu’à maintenant, l’entraîneur fait tout tout seul ! Le but du voyage est d’essayer, une fois sur place, de voir quels sont les réels moyens à notre disposition pour lever des fonds. Il faut quand même savoir que l’entraîneur monte les tournois avec son argent personnel ! Il y a donc évidemment une fatigue physique mais également un gros problème financier.
6 – C’est moi ou le fait que ton projet soit précisément pour l’épanouissement et la professionnalisation de filles dans un milieu où ne les attend pas (le baseball) t’a particulièrement touché ?
Alors il faut quand même dire que je ne connaissais rien au baseball avant de m’intéresser à ce projet ! Tout comme je ne connais rien à la peinture et qu’il y a peut-être un collectif de peinture qui va m’intéresser un jour. (rires)
Ensuite, oui ! Que ce projet soit avant tout porté par des filles me touche. Je suis née et j’ai grandi en Afrique, je suis d’origine moyenne orientale. J’ai grandi loin de tout conflit au Sénégal dans un contexte multiculturel, multiconfessionnel, où justement, une fille a le droit de faire du sport, et plus globalement de faire ce qu’elle veut ! Et puis j’ai un papa très très féministe. J’ai eu la chance d’avoir un père qui n’a eu de cesse de nous répéter à ma sœur et à moi « une fille doit être courageuse ! ». On n’apprend pas aux filles à être courageuse ! On leur apprend à être parfaite, gentilles douce, la plus jolie, la meilleure de la classe.
J’ai cette étude édifiante en tête qui me sidère. Si une fille ne correspond pas à 100% à une offre d’emploi, elle n’y répondra pas ; un homme, il suffit qu’il ait 60% des critères et bam ! Il y va ! Donc c’est clair ! On apprend aux petits garçons à être courageux et à oser. On est deux garçons et deux filles dans la fratrie. Mais des quatre, celles qui ont fait les trucs les plus fous, ce sont les filles !! « Vous êtes mes filles, vous avez un père courageux. Vous n’avez pas le droit d’avoir peur. Vous pouvez TOUT faire »
7 – Dans quel contexte et comment est-ce que tu as pu observer pour la première fois les bienfaits du sport ?
Au Sénégal. Quand tu joues au foot sur la plage, t’as tout le monde sur le terrain ! Que ce soit les enfants défavorisés, favorisés, enfants d’expatriés italiens, de grands ambassadeurs français. Ça a une vertu de cohésion évidente !
On a toujours été sportives dans notre enfance. J’ai fait beaucoup de courses. Je suis blessée maintenant mais j’adapte. Je fais au moins 4 à 5 séances de sport par semaine. C’est très important pour moi le sport, et plus globalement pour les filles ! On se sent tellement mieux dans notre corps. Le sport d’équipe au Sénégal m’apprenait à ne pas rivaliser avec mes amies, à ne pas être le genre de fille qui va être en compétition avec les autres mais à être le genre de filles qui va aider les autres.
Pour moi c’est ça le sport ! C’est social, c’est culturel. Surtout si on revient en arrière, qu’on va regarder la fin de la ségrégation. Voir qu’on intégrait les enfants noirs dans les équipes de football. Pareil pour l’apartheid ! (Bon…à voir si ça a marché…) C’est une intégration sociale. Et regarde les Jeux Olympiques de 1936 à Berlin. Hitler avait refusé de serrer la main du sprinter noir américain Jesse Owens, grand vainqueur ! Donc en fait c’est un outil de pouvoir aussi le sport. Voilà pourquoi ça me touche énormément.
8 – C’est aussi pour ça que tu souhaites intervenir dans des zones « difficiles » ? Pour essayer de leur ouvrir les portes vers d’autres mondes ?
Je suis consciente de l’ouverture d’esprit que j’ai eue grâce à mon père et au Sénégal. C’est certes, un pays à majorité musulmane mais c’est un pays laïc, et à vrai dire, on a toujours très bien vécu avec les autres . Chacun a sa communauté mais les communautés vivent très bien ensemble. J’ai découvert un « problème » de communauté quand je suis arrivée en France après le BAC. Si j’étais d’origine arabe, c’est que j’étais musulmane, si j’étais musulmane, c’est que j’avais des opinions. Et j’ai entendu des choses du style : « Ah mais vous êtes bien intégrée dis donc ! ». Même ce mot « intégration », mais moi je n’en ai jamais eu conscience ! Je me sens autant sénégalaise que française. Ma bi-nationalité est très importante parce que c’est ma culture ! Donc oui j’ai été éduquée dans le catholicisme mais à aucun moment l’islam ne m’a dérangée, à aucun moment je ne me suis sentie agressée. Quand j’ai réalisé la chance que j’avais et que j’ai lu cet article, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose ! Certes, toi t’as eu cette chance d’ouverture sur le monde, sur les autres, sur le sport, sur l’émancipation, sur la religion, sur les femmes etc. mais si tu ouvres les yeux, tu vois bien que ce n’est pas le cas pour tout le monde. Alors il faut agir.
9 – Quel rêve, ambition as-tu pour Lega Pace ?
- C’est une association pour l’instant, j’aimerais que d’ici dix ans, ce soit une fondation. C’est le but pour essayer d’obtenir des bourses notamment. J’essaye d’être patiente. Quand tu vois qu’on m’alloue un matériel au mois de novembre et qu’il arrive là-bas 6 mois après, tu comprends qu’il faut être patient 🙂
- Aujourd’hui, on est quatre dans l’association. Les plus actifs sont le vice président et moi. Mais aussi et surtout les entités qui m’entourent, les Fédérations dont on a parlé, qui sont un support incroyable depuis le début ! Le Président de la Fédération Française de baseball et de Softball, qui a deux filles, et ceux qui travaillent avec lui notamment. Ils se sentent énormément touchés par la cause. Ils pensent que le sport féminin doit être beaucoup plus promu !
- A long terme, j’aimerais lever des fonds pour engager des gens, pour donner un aspect un peu « corporate » à l’association. Avoir quelqu’un qui ramène des fonds pour pouvoir prendre d’autres projets .
- Mon but c’est qu’à chaque fois que je ferai un projet qui n’aura peut-être rien à voir avec le baseball (dans un an ce sera peut-être la peinture, le football etc), c’est de réunir tous les acteurs autour de cette cause, parce qu’on peut rien faire toute seule. On revient à cette histoire de « ligue »…
Pour vous renseigner, l’aider, donner, léguer, partager, échanger avec Laura, c’est par ici : www.legapace.com
Il était une fois… 2019
Mention Légales | Réalisation