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Sofia : jamais sans ma fille…chapitre 3/3

2 décembre 2019

Dans l’épisode précédent Chapitre 2/3, Sofia* a enfin fait la rencontre de celle qui sera, elle l’espère, sa tendre enfant. Mais la dernière ligne droite est souvent la plus pénible. Sofia va en faire l’expérience.

 

Continuons notre récit…

En apnée…

Du 16 juillet 2018 au 23 août de la même année, Sofia vit en apnée. Sur le mois entier, elle n’a vu la petite fille que deux matinées. Et Sofia en a sombré. Elle est tombée malade juste après. Elle confie avoir « vu des choses horribles et difficiles à l’orphelinat. Les enfants sont livrés à eux mêmes. Il y a 3 femmes pour 15 enfants dont 2 sont handicapés. Ils sont changés uniquement 2 fois par jour, les habits ne sont pas les leurs, les chaussures sont trop grandes, ils ne sortent pas, ne connaissent pas la couleur du ciel, ni ne voient la lumière du jour…certains mangent même leur déjection, tu gardes forcément des séquelles de tout ça !  J’étais dans un état second, je n’arrivais plus à manger. Mais grâce à ma famille, j’ai tenu bon. J’avais tellement tellement peur de ne pas avoir Ismahan ! Tellement peur ! ». J’entends alors les larmes couler à travers le combiné…Puis Sofia reprend : « Le juge qui traitait mon dossier était en vacances pendant 3 semaines. Or il faut savoir qu’aujourd’hui, de plus en plus d’entre eux refusent de signer des adoptions. C’est le seul pays du Maghreb qui les accepte. Au Maroc et en Algérie, c’est « kafala ». Donc il faut bien comprendre que malheureusement, de plus en plus de juges opèrent par conviction religieuse. Certains peuvent donc refuser ! C’est pour ça qu’on a attendu si longtemps ! Je savais que ce juge là avait pour réputation d’être PRO adoption… »

Puis Sofia, pleine d’espoir, décide alors de contacter son employeur « C’est bon, j’ai été apparentée à une petite fille, j’attends juste l’accord du juge pour partir ». A tout moment, elle peut aller récupérer son enfant…

Je peux enfin respirer…

Puis les choses s’accélèrent…

23 août. Sofia reçoit un appel de l’INPE (Institut National de la Protection de l’Enfance) lui annonçant que le juge a donné son accord de principe verbal et qu’elle peut passer devant le juge pour l’adoption plénière.

25 août. Elle part en Tunisie, prépare tous les papiers, achète quelques vêtements pour son enfant.

30 août. Elle récupère Ismahan. Enfin.

3 septembre. C’est le jour J. Elle doit passer devant le juge. Sofia me confie « ne jamais avoir eu aussi peur de (s)a vie ». Elle en faisait des cauchemars. Elle avait une peur terrible qu’on lui enlève celle qu’elle considérait déjà comme étant SON enfant.  » Tout le séjour en Tunisie a été très difficile. Rien n’était fiable. Un jour oui, le lendemain non, le jour d’après peut-être. Ca n’est pas comme en France, où les choses sont claires et tranchées. »  

Alors une fois de plus, elle l’espère la dernière, Sofia prépare et répète son dossier, Sofia fait tout pour bien présenter. Le juge regarde son dossier, lui demande ce qu’elle fait comme métier, et 2mn après… »Très bien. Je vous souhaite beaucoup de bonheur. J’espère que tout va bien se passer pour vous »

Sofia n’en croit pas ses yeux. Son cœur bondit. Elle a peur de ne pas avoir compris. Toutes ses amies lui avaient pourtant dit qu’à ce stade, tous les allers-retours étaient encore permis ! Et pourtant…Pourtant ça y est. Sofia est sur le point d’être maman.

Enfin maman…

« Depuis le 30 août 2018, Ismahan ne m’a pas quittée. Ma petite fille va très bien. Elle n’a aucun retard de croissance et est très intelligente. » me lance-t-elle émue. « Suite aux conditions que je vous ai décrites à l’orphelinat, Ismahan en rentrant la première fois dans la voiture était complètement paniquée. Elle regardait partout, ne comprenait pas. » se souvient -elle. « J’ai moi même tellement été traumatisée par les conditions d’hygiène qui y régnaient, qu’au début je la changeais, et je la crémais tout le temps ! (rires)  A l’extrême les premiers mois ! Là encore, heureusement que ma famille était là pour me rassurer… »

Sofia est restée un mois en Tunisie le temps de faire les papiers et de modifier l’extrait de naissance de sa fille. Il a fallu se rendre dans sa ville d’origine. Pour Sofia, cet acte était important. Elle n’a pas l’intention de mentir à son enfant. Elle souhaite qu’elle connaisse ses origines. Alors elle lui laissera en 2ème prénom, son prénom de naissance, pour qu’elle n’oublie pas…d’autant que c’est celui d’une grande danseuse orientale des Mille et Une Nuits et que son sens est fort joli puisque « Protection Divine » il signifie 🙂

Ismahan, Mère de Sofia, fille de Mr X…

Mais restait un petit hic. Sur les papiers des filles tunisiennes, est inscrit « Fille de <NOM DU PERE> ».

Or de papa, dans cette histoire, il n’y a pas.

Et tout le monde tunisien autour de Sofia lui conseille, pour accélérer les démarches, de mettre le nom d’un père fictif. « C’est mieux pour ton enfant, pour plus tard, sinon on verra que c’est une bâtarde ! « lui assène-t-on. « C’est hors de question ! » s’insurge Sofia. Elle dit qu’elle lui expliquera, elle dit qu’elle comprendra. Après tout, c’est en France qu’elle grandira !

Sa fille s’appelle bien « Ismahan, fille de Sofia et de Mr X ».

Après l’obtention de l’adoption plénière, il a ensuite fallu traduire les documents en français et déposer la demande de visa au consulat français en Tunisie et obtenir l’accord de la M.A.I (Mission de l’adoption internationale). Celui-ci a finalement été obtenu le 21 septembre 2018.

Et voilà Ismahan dans les bras de sa nouvelle maman. Ensemble, elles foulent le sol de leur nouvelle terre de vie, la France. Nous sommes le 27 septembre 2018, jour d’anniversaire de Sofia. Un joli symbole de plus que voilà 🙂

Enfin, la vie avec ma fille peut commencer…

« Au début, je m’attendais à plein de choses, je me posais des milliards de questions ! Va-t-elle s’attacher à moi, va-t-elle m’appeler maman ? Quand soudainement, tu deviens maman, c’est très violent. Je la regardais, j’étais spectatrice de ma vie. Quand on attend ça depuis trois ans et que finalement, ça vous tombe dessus…c’est très très perturbant »

Mais évidemment, au final, tout s’est fait naturellement. La fille de Sofia a très vite compris qu’elle évoluerait dans un environnement bienveillant. Sofia s’étonne encore de l’amour incommensurable qu’ont eu ses parents pour leur petite-fille. « C’en était presque trop » me confie-t-elle. « Ismahan était comme leur petite-fille de sang ».  Alors au début, Sofia a éprouvé le besoin d’être vraiment seule avec sa fille. Elle m’explique que c’était fondamental de délimiter les zones d’amour. « Tu vois ma chérie, ici, c’est chez toi, c’est chez nous…là-bas, c’est chez les copines de maman, là, c’est la crèche, là, c’est chez mamie et Jedi » (« grand-père » en tunisien). Ismahan avait tellement été habituée à voir du monde défiler à l’orphelinat, qu’elle n’avait pas la notion de l’attachement. C’est ça qu’il a fallu lui inculquer progressivement. Elle se jetait sans compter dans les bras de qui voulait.

Alors un peu de patience, un soupçon d’éducation, et un océan d’amour sont venus à bout de cette ultra-sociabilité qui pouvait nuire à sa sécurité. « Il faut toujours que maman soit à côté tu sais ».

Et pendant tout ce temps, une assistante sociale a continué de veiller. 6 mois durant, elle a consciencieusement rempli son rapport en s’assurant que tout se passait normalement. C’est elle-même, qui un jour, a constaté que l’adaptation d’Ismahan se terminait. Elle a même décrété, rassurée : « Ca y est ! Le job est fait ! »

Quant à savoir quel langage utiliser ? Au début, c’est l’arabe qui primait, mais maintenant, la petite fille l’a mis de côté. Avec la crèche, c’est le français qui a pris le relais. La petite Ismahan est, d’après sa mère, « Une enfant facile, qui s’est adaptée super vite. Elle grandit très très bien…mais attention…elle a son caractère hein ? » (Rires)

Voilà. Voilà l’histoire de la rencontre de Sofia avec sa fille. Elle ne connaît pas les conditions d’abandon de celle qui aujourd’hui, est le plus grand bonheur de sa vie, mais m’avoue ne pas forcément chercher à farfouiller. Les commères ont vite fait de tout gâcher…« Tout ce que je sais, c’est que sa mère s’est rendue à l’hôpital pour accoucher. Et ça, c’est le signe qu’elle voulait que sa fille ait un avenir assuré. Ca fera une belle histoire à lui raconter… Elle lui a donné la vie, moi je lui donne une vie. Je suis sa maman de cœur ! » Mais au fond de son corps et de son âme, Sofia sent que c’est bien plus que ça. « Maintenant, ma fille, c’est viscéral. ».

Epilogue…

Alors oui, il reste encore quelques broutilles administratives à régler. Oui, tout n’est pas tout à fait fini. En mars 2019, un dossier a été déposé pour qu’Ismahan, en France, acquière la nationalité. Elle n’a qu’un visa d’un an pour l’instant, alors Sofia s’amuse à me confier que « (s)a fille sera encore illégale quelques temps » (rires).

Mais en mars 2020 maximum, ce sera la fin du parcours du combattant de cette maman qui aura tout fait pour récupérer un enfant. Non, le parcours du combattant de celle qui aura tout fait pour récupérer SON enfant…

FIN

*Prénoms modifiés

Il était une fois… 2019