Education

Silence, on lit !

13 janvier 2020

Et si tous les jours, à la même heure, on sortait tous et toutes un livre de notre besace et que pendant 15 petites minutes, on plongeait dans l’univers merveilleux d’un roman de notre choix ?

C’est la proposition simple et séduisante que propose l’association SILENCE ON LIT ! J’ai rencontré Olivier Delahaye, vice-président depuis 3 ans de cette structure créée avec Danièle Sallenave, de l’Académie Française et Ayse Başçavuşoğlu, directrice du Lycée Tevfik Fikret à Ankara.

Silence on lit, qu’est-ce qu’il en dit ?

Olivier Delahaye, président de SILENCE, ON LIT ! © Odile Motelet

1 – Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ?

Ayse m’avait invité en 2001 à présenter un film que j’ai fait (« SOLEILS ») au sein d’une cité scolaire à Ankara en Turquie, qui réunit 2000 élèves, du CP à la terminale. Après le déjeuner, j’étais dans la salle de professeur et soudain, un carillon a sonné. Les profs se sont jetés dans leur cartable et en ont extrait un livre qu’ils ont commencé à lire. J’ai demandé ce qu’il se passait. La réponse : « Eh oui ! C’est notre ¼ d’heure de lecture ! Tout le monde lit, tous les jours à cette heure-là. ».

Je suis sorti dans les couloirs, et là, j’ai vécu quelque chose d’absolument extraordinaire. Il y avait un silence total, tout le monde s’est arrêté. Les gens qui faisaient le ménage notamment, avaient tout stoppé, assis sur un bout d’escalier, un livre à la main, et lisaient. Tous les gamins lisaient ! Par terre, ou à leur place, les profs assis sur leur bureau. Absolument tout le monde avait un livre à la main. Et tout ça dans ce silence total, pas du tout contraint ! Dans une concentration incroyable. Ils avaient l’air d’en tirer un immense plaisir. Ca m’a bouleversé.

Elèves silencieux de l’école Sainte-Thérèse à Lorient. © Silence, on lit !

Le soir, on a dîné avec Ayse. Je lui ai demandé de m’expliquer calmement ce que j’avais vu. Elle m’a dit qu’elle avait mis ça en place depuis plusieurs mois. Déjà 19 ans ! Puis par la suite, j’ai écrit article sur ce sujet que je trouvais merveilleux et de fil en aiguille, j’ai rencontré Danièle Sallenave. De l’Académie française, certes, mais qui a surtout un passé dans l’éducation. Elle est fille et petite fille d’instituteur, a été professeur de lettres en lycée avant d’être professeur de lettres à la fac. La transmission du savoir, l’écriture, la lecture ont toujours été pour elles des choses complémentaires. Elle a d’ailleurs écrit un livre à ce propos. Donc quand elle a entendu parler de ça, elle nous a invité Ayse et moi à la Foire du livre de Brives et en rentrant, après avoir beaucoup discuté, on s’est dit qu’il y avait un enjeu de société très très important auquel SILENCE ON LIT pouvait répondre. Il fallait qu’on crée cette association.

2 – Son but en quelques mots ?

L’association vise à remettre au cœur des habitudes des gens la lecture, les livres, le silence …et ça n‘est que le début ! Derrière tout ça se cachent des enjeux primordiaux : de concentration, de construction du cerveau pour les jeunes, de retour vers l’intimité, de réflexion, de capacité à juger si des informations sont vraies ou fausses.

3 – Comment procédez-vous exactement ?

Pour remettre le livre, la lecture et leurs bénéfices au cœur de la vie des gens, on propose une pratique collective quotidienne selon certaines règles et selon une méthodologie qu’on a mise en place.

On propose cette méthode à tous types de collectivités qui nous le demandent spontanément via notre site.

1 – Ils nous exposent leur problématique

2 – On passe beaucoup de temps à discuter avec eux et à échanger.

3 – On leur donne les clés de cette méthodologie.

4 – On les aide à préparer la mise en place sur plusieurs mois.

5 – On va dans les établissements pour les aider à convaincre tout le monde des bienfaits de cette pratique.

Jusqu’à présent, on a reçu beaucoup de demandes d’établissements scolaires bien sûr, parce que c’est là que tout se joue ; on sait bien que des gamins qui lisent ont de fortes chances de devenir des adolescents puis des adultes lecteurs. Mais on commence à avoir des demandes de prisons, de mairies, d’hôpitaux.

On s’aperçoit que beaucoup de gens sont conscients de la nécessité de lire.

4 – « Silence on lit » en quelques règles et mots clés ?

Silence et respect

Temps

Ouverture d’esprit

Quotidienneté

Participation et accessibilité à tous

Très important pour nous parce que c’est un moyen d’ouvrir la lecture absolument à tout le monde. Ca n’est en aucun cas une question de niveau d’éducation, de classe sociale. Nous sommes particulièrement sensibles au fait de monter des projets dans des endroits difficiles, dans des zones défavorisées, dans des établissement REP (Réseau d’éducation prioritaire), dans des zones d’éducation prioritaire. Nous avons un projet actuellement au sein d’une prison au Cameroun, la plus grande de Yaoundé. Nous travaillons avec une association locale. Nous en sommes au tout début du projet. Il faut encore envoyer des livres, aller sur place pour mettre en place la méthodologie. Mais ce qui est sûr, c’est que le directeur de la prison voit tout l’intérêt pour eux de mettre en place ce projet, à faire ce type de pratiques. Il est évident que ce genre d’initiatives peuvent changer la vie de certaines personnes. Si vous lisez l’autobiographie de Malcolm X, il raconte comment c’est la découverte de la lecture d’un dictionnaire, sa rencontre avec les mots qui l’a révélé à lui-même. Malcolm X est devenu Malcolm X grâce aux livres. Ce genre d’opération donne la possibilité aux gens de s’extraire de leur condition d’enfermement en s’ouvrant sur le monde par la lecture.

Lecture de livres uniquement : on exclut les journaux, les magazines et les tablettes.

Liberté totale dans le choix de livres 

Des gens qui ne lisaient pas viennent à la lecture et comprennent que c’est un moment qu’on leur offre, un moment pour eux, dans lequel ils peuvent accéder au monde de leur choix, qui leur plaît.

Gratuité 

On fait attention à ne défavoriser personne. L’argent ne doit pas être une des conditions (ce qui contribue d’ailleurs aux importants problèmes financiers que nous rencontrons…et que nous assumons)

Elèves concentrés de l’école Sainte-Thérèse à Lorient. © Silence, on lit !

5 – Silence on lit ! Ca sonne un peu comme une injonction ! Vous pensez qu’il faut forcer la lecture pour que le plaisir arrive ?

Non non, ça n’est pas du tout une injonction ! Silence…profitons du silence … de ces « minutes de silence ». Dans ce silence qui nous est offert, il se passe autre chose que du non bruit ! C’est toute une communion. Les gens retrouvent le chemin de leur intériorité. Ca les apaise. C’est d’ailleurs le premier retour que nous font les établissements scolaires ! Avant même la lecture elle-même ! « Vous ne pouvez pas savoir le bien que ça nous fait ! » nous confient-ils. Ca réduit les agressivités, les actes d’incivilité. Le monde est fait de plein d’obligations mais dans celle-ci, on ouvre des fenêtres extraordinaires. Il n’y a aucune contrainte.

6 – Une anecdote particulièrement touchante que vous aimeriez partager avec nous ?

Dans une école en REP près de Nice, les profs étaient très inquiets au départ. A l’école primaire notamment, il était très difficiles de faire en sortent que les gamins restent concentrés. Quelques mois après, on a reçu un email nous disant que c’était absolument incroyable. Dés le 2ème jour, ça marchait, et rapidement, des gamins demandaient à faire « Silence on lit » à la maison ! C’est génial ! Je trouve ça formidable parce que ce sont les enfants qui demandent aux parents de faire ce qu’ils devraient faire ! A savoir remplacer les écrans par des livres. C’est peut-être les enfants qui vont amener les adultes qui ont déserté la lecture, à revenir à la littérature.

7 – A quoi ressemblerait un monde sans livres ?

Dans le roman de science fiction dystopique de Ray Bradbury « Fahrenheit 451 » publié 1953, le capitaine des pompiers dit au héros. « Nous n’avons pas besoin d’intervenir. Les gens ont décidé de cesser de lire d’eux mêmes il y a longtemps. » Il montre à quel point les gens sont complètement obsédés par les écrans. C’est ce qui nous arrive aujourd’hui ! Michel Desmurget, docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’INSERM a publié « La fabrique du crétin digital » en août de cette année (2019). C’est à la fois formidable et terrifiant. Il montre à quel point les écrans sont nocifs pour le développement des jeunes cerveaux et plus tard pour nous ! Portables, tablettes, écrans, leurs effets sont dévastateurs. On y est….

8 – Une demande, un coup de cœur, un coup de gueule que vous aimeriez partager avec nos lecteurs/lectrices ?

Oui. Notre situation est très difficile. Nous n’avons aucune aide des institutions ou des fondations. Tout le monde trouve « Silence on lit » formidable mais tout le monde a l’impression que tout peut se faire comme ça, en claquant des doigts, par magie. Or c’est un vrai boulot ! Il faut que les gens prennent conscience de ça ! Ca nous aidera à faire notre boulot correctement….

 

 

Il était une fois… 2019