Littérature
Interview confinée – Alexis Potschke, « Rappeler les enfants ». Ep.2
2 juin 2020
Nous étions le 6 mai. Dans quelques jours, nous serions déconfinés. Voilà plusieurs mois que j’avais envie de lui parler, alors je l’ai relancé…et ça s’est fait ! Entretien avec Alexis Potschke, auteur du roman « Rappeler les enfants ». On va parler doute de l’écrivain, bonheur d’enseigner, prof et élèves confinés etc.
Comme cet entretien était fort passionnant, je vous propose de le découvrir en plusieurs épisodes. Dans ce deuxième épisode, Alexis nous parle de la genèse de son roman et nous dévoile les méandres de l’écrivain .
Maintenant, parlons du livre…voilà ce que j’en avais pensé 😉
Alexis, si vous deviez résumer votre livre en une phrase ?
C’est l’histoire d’élèves qui font fassent à un professeur. Non, c’est l’histoire d’élèves tout court. Non… Ce sont des élèves. Regarder les.
5 mots clés pour décrire « Rappeler les enfants » ?
Enseignement // Récit // Elèves // Regard // L’adolescence et sa souffrance
Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce roman ?
Pour ce livre, j’ai commencé à écrire sur Facebook pour témoigner de ce qu’il se passait, et ça a évolué. Au fur et à mesure que je m’investissais, j’écrivais pour le plaisir de l’écriture bien sûr, mais aussi pour montrer la réalité des salles de classe et dans un troisième temps, pour son impact pédagogique.
Comment ça ?
En fait, j’ai réalisé qu’écrire permettait de démêler des situations, de repérer où et quand il s’était joué quelque chose. En relisant ces chroniques, je me disais « Ah tiens ! Je comprends ce qui s’est passé ! Je comprends pourquoi machin a agi comme çà ! » Ça m’a permis de prendre beaucoup de recul, de mieux comprendre. Parce que quand on a face à soi 30 élèves, 4 classes qui se succèdent dans la journée, à la fin on n’arrive plus à lire les situations. Mais de les écrire et de focaliser sur une situation qui a attiré mon regard, ou qui m’a mis en colère, permet de plus facilement retracer le chemin des situations, des élèves etc.
Comment et quand la bascule s’est-elle faite de simples chroniques sur Facebook à un roman ?
En plusieurs étapes. Par exemple, de tous les premiers textes correspondant à ma première année d’écriture, il ne reste que le prologue ! Au fur et à mesure que je me découvrais enseignant, et que je m’investissais plus sur mon texte, j’ai commencé à avoir des retours de gens (que je ne connaissais pas forcément d’ailleurs), qui trouvaient ça bien, Je leur ai fait confiance, et un jour, sans trop y prendre garde, j’ai pris conscience que j’avais écrit 600 pages et que je pouvais peut-être en faire quelque chose ! Donc aujourd’hui, il y a près de la moitié de ce que j’ai écrit qui n’apparaît pas dans le livre. Au moment où je me suis dit que j’allais peut-être en faire un roman, en fait il était déjà là.
Vous aviez toujours fonctionné comme ça dans le passé ?
Non, j’avais souvent fonctionné à l’inverse, Pour mon roman de science-fiction, j’avais mon idée, j’avançais pas à pas et je me disais « bon..là..il me reste encore un chapitre à écrire, tant d’infos à incorporer pour arriver à faire un livre ». Là, c’était l’inverse, j’avais déjà tout, il fallait que je structure, que je coupe.
Quelles principales difficultés avez-vous rencontrées pendant la production de ce roman ?
J’avais 600 pages. Impossible à sortir tel quel ! Ça rebute ! Donc je ne dirais pas que j’ai eu des difficultés à écrire, mais dans toute cette matière, il a fallu trier. » Alors là, il y un intérêt pédagogique mais pas d’intérêt dans la narration » . Parfois des textes qui plaisaient dans le cadre des chroniques Facebook, n’avaient pas de sens dans le cadre d’une histoire romancée. Et au contraire, j’ai gardé des textes qui avaient moins bien marché dans le cadre des chroniques, mais qui faisaient plus de sens pour le roman. J’ai dû couper, réagencer des situations, m’assurer de ne jamais trop en dire.
Ah…pour protéger vos élèves ?
Oui absolument. Je ne suis pas en train de parler de MES élèves, mais d’élèves en général, dans n’importe quel collège. Il a vraiment fallu que je fasse passer ce texte à un statut de roman en travaillant la narration, en travaillant l’articulation des personnages. Je n’exagère pas les situations. Il n’est pas rare qu’à la fin d’une heure de cours, je sois hyper content alors que mes élèves ont détesté et le contraire arrive aussi. Il y a une multiplicité des regards sur la même heure, 30+1 regards au bas mot ! Mon regard n’est pas le même que quelqu’un d’autre aurait eu dans la même situation. Le regard se porte sur certaines choses, ne dit pas tout ce qui aurait pu se passer. C’est la vérité que je décris, pas la réalité.
Un conseil à ceux qui se lancent dans l’écriture ?
(Rires) Quand je donne des conseils à des nouveaux collègues enseignants, je dis souvent « Fais très attention aux conseils qu’on va te donner ». Alors je dirais pareil ! Quand à 20 ans, tes nouvelles sont publiées, tu te dis « Je suis le roi du monde » et ensuite…plus rien ! Il faut savoir s’armer de patience. L’écriture est un exercice solitaire et peut même être vécu comme une souffrance. Surtout quand elle n’est pas récompensée par des regards. Ça prend beaucoup d’énergie, de temps (on n’est pas avec les copains, on ne va pas au cinéma). Parfois on n’aime pas ce qu’on est en train de faire, en train d’écrire. Cà n’est pas que du plaisir. Quelle souffrance quand on n’aime pas ce qu’on est en train de faire ! Par exemple, la relecture, j’avais horreur de ça ! Quand on commence à écrire et qu’on VEUT être publié, il faut s’attendre à attendre, et cette attente est encore plus difficile que l’écriture. Entre le moment où j’ai décidé d’écrire et mon premier roman, il s’est passé 10 ans ! C’est un travail silencieux, on a la peur au ventre quand on travaille pour rien. Mes premières nouvelles ont été publiées rapidement mais ensuite j’ai travaillé pendant ces 10 ans ! J’ai travaillé sur des bouquins différents qui sont des reliques de mon passé. Ils m’ont beaucoup appris, beaucoup apporté. La difficulté c’est que mon premier roman par exemple, quand je le relis, je suis parfois surpris par les bonnes trouvailles, je ressens un amusement tendre…Mais j’ai travaillé pendant 3 ans sur un texte qui n’est pas publiable en l’état ! Si aujourd’hui, 4 ans plus tard, je le reprenais, et que je travaillais pendant 1 mois, il serait 2 fois meilleur… mais toujours pas publiable ! Mais bon..aujourd’hui, de manière apaisée, je peux me dire que je peux retravailler. Je n’ai pas travaillé dans le vent.
Vous aviez parfois envie d’abandonner ?
Moi non, mais mes proches oui ! (Rires) A 23 ans, ma petite amie me disait « Ça fait trop longtemps, passe à autre chose ! les maisons d’édition ont refusé… » Mais c’est un crève-coeur quand on doit arrêter, on a l’impression d’abandonner un travail, on ressent de la lâcheté à laisser nos personnages, on a l’impression de se nier, d’abandonner ce qu’on était à ce moment là ! J’ai eu beaucoup de mal à passer à autre chose. Mon deuxième roman, c’était encore autre chose, il y avait un problème fondamental, l’histoire tenait pas debout… A chaque fois, c’est vraiment dur de se rendre compte qu’on n’a pas travaillé pour rien. Passer à autre chose et accepter d’avancer n’est pas abandonner. C’est difficile de l’admettre mais NON on n’a pas travaillé pour rien, on affine sa plume !
Crédit photo illustration principale : ©Insta Camiframboiserie
Il était une fois… 2019